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Le 7e anniversaire de la stèle que le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, a dévoilée, le 6 octobre 2011, en hommage à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France a été célébré hier, de 11h00 à 12h00 au cimetière du Père-Lachaise.

La cérémonie a réuni près d’une cinquantaine de personnes, à l’invitation conjointe de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS et de l’association « Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons ».

L’Ile-de-France n’était pas seule représentée : certains participants venaient des régions Centre-Val de Loire et Normandie et même d’Algérie.

Les présidents et membres des associations organisatrices étaient entourés des représentant(e)s de l’Association Germaine Tillion (en la personne de Mme Nelly Forget), du Comité Vérité et Justice pour Charonne (en la personne de son président, Henri Cukierman), de la FNACA de Paris (en les personnes de Jean Laurans, président départemental, ainsi que de Mme Anick Sicart et de M. Pierre Fassy, respectivement secrétaire générale et porte-drapeau du comité du 13e arrondissement).

Monsieur François Vauglin, maire du 11e arrondissement, avait bien voulu faire savoir combien il regrettait de ne pouvoir, en raison d’une contrainte d’agenda, assister à ce moment de commémoration.

À la suite d’un dépôt de quatre gerbes aux noms de la FNACA de Paris, du Comité Charonne, des Amis de Max Marchand et de l’ANPROMEVO, une minute de silence a été observée en souvenir et en l’honneur des victimes décédées et des victimes survivantes de l’OAS.

Dans le prolongement des interventions, reproduites ci-après, un dialogue s’est spontanément établi, sur place, à partir de l’émouvant témoignage de l’une des descendantes d’un enseignant, ami de Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS en avril 1962 : l’occasion de citer pêle-mêle les noms de Huguette Azavant, Mouloud Aounit et Michel Levallois que la stèle avait permis de réunir depuis son inauguration !

Des photos de cette manifestation sont également présentes ci-dessous : j’en remercie vivement l’auteur ainsi que l’ensemble de celles et de ceux qui, par leur présence ou leur soutien, ont contribué à la réussite de cette indispensable commémoration ; ma gratitude va également au conservateur et aux agents du cimetière du Père-Lachaise.

Jean-François Gavoury

Président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO)

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Intervention de Jean-François Gavoury, le 6 octobre 2018, devant la stèle aux victimes de l’OAS au cimetière parisien du Père-Lachaise (88e division)

Comme dans les actes, la parole de l’ANPROMEVO complète celle de l’association « Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons ».

Mon intention est de vous parler de Jouhaux.

Non point d’Edmond (Jouhaud), mais de Léon Jouhaux.

Pourquoi ce choix ?

Parce qu’il est né dans ce XVe arrondissement de Paris, où l’ANPROMEVO a eu son siège depuis sa création en 2006 jusqu’à 2014 ?

Parce qu’il a appartenu à la première génération de l’école obligatoire et que les associations « Marchand-Feraoun » et ANPROMEVO portent le souvenir de tant et plus de ces enseignants que la frénésie criminelle de l’OAS a pris pour cibles ?

Parce qu’il a été, de 1909 à 1947, secrétaire confédéral de la CGT, cette CGT à neuf militants de laquelle la police aux ordres du préfet Papon a infligé la mort le 8 février 1962, non loin d’ici, alors qu’ils manifestaient contre l’expansion du terrorisme de l’OAS aux cotés de dizaines de milliers d’opposants au fascisme ?

Parce qu’il s’est agi d’un homme de Paix, dont il a été prix Nobel en 1951 ?

Rien de cela ? Tout à la fois ?

En réalité, c’est la présence de la sépulture de Léon Jouhaux dans la 88e division du cimetière du Père-Lachaise qui me paraît donner du sens – symboliquement, s’entend – à cette stèle dévoilée il y sept ans par le maire de Paris !

En guise de transition avec un sujet lié à l’essence même de la démarche de l’association, je souhaite vous livrer une confidence : longtemps, j’ai réfuté l’hypothèse d’un traumatisme subi du fait de la disparition de mon père, première victime d’une OAS dans laquelle M. Bertrand Delanoë a su voir une organisation statutairement terroriste et ponctuellement barbare !

Aujourd’hui, à l’approche un peu laborieuse du statut de septuagénaire et surtout avec le recul de douze années passées à la tête de l’ANPROMEVO, je m’interroge :

– je le fais dans des termes qui m’ont été inspirés par une chanson à l’auteur et interprète de laquelle les honneurs posthumes ont été rendus hier à l’Hôtel national des Invalides : ai-je vraiment tardé à percevoir « le poignard de l’absence » ; ai-je été malade et suis-je « guéri de mes années d’enfance » ?

– je le fais également et surtout à la lumière du témoignage qui m’est parvenu, il y a peu, de plusieurs membres, ici présents pour la première fois, de la famille de Dahmane Yesli, ami et collègue de Mouloud Feraoun assassiné par l’OAS le 11 avril 1962 à l’âge de quarante-trois ans, et dont le permis d’inhumer porte la mention « victime de terrorisme ».

Ses descendants, qui restent très affectés plus d’un demi-siècle après ce drame, attendent de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS qu’elle attire à nouveau l’attention des pouvoirs publics sur la méconnaissance de leurs droits : il s’agit, en effet, des seules victimes de la guerre d’Algérie privées à la fois de la qualité de « mort pour la France » et de celle de « mort pour le service de la Nation ». Le Conseil d’État a exclu l’apposition de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès des victimes de l’OAS au prétexte spécieux que l’OAS n’aurait pas été partie belligérante au conflit ; quant à l’attribution de la mention « Mort pour le service de la Nation », elle a été prévue par une loi du 21 décembre 2012, dont la rétroactivité, en soi dérogatoire, ne s’est pas étendue en deçà du 1er janvier 2002 !

Il y a là une double injustice aussi criante que la négation des crimes de la colonisation ou le silence sur la torture érigée en système durant la guerre d’Algérie.

Pour en obtenir la réparation morale (et simplement morale tant l’aspect pécuniaire est absent des préoccupations de l’ANPROMEVO), j’appelle au sens des responsabilités les administrations en charge des victimes de guerre et je sollicite le soutien des associations du monde combattant.

Il y a soixante ans et un jour, était publié au Journal officiel le texte de la Constitution de la Ve République, celle au service de laquelle nombre de militaires, de fonctionnaires civils, de magistrats et d’élus sont tombés sous les coups de la sédition.

Vivent les institutions et valeurs de la République, et que se consume le souvenir de ceux qui en ont été les ennemis.

 


Hommage aux victimes de l’OAS, par Jean-Philippe Ould Aoudia, président de l’association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons

Le lundi 5 mars dernier, sur France Inter, à 8h35, le ministre de l’Education nationale déclarait :
« Je ne suis pas non plus un fanatique de la commémoration ».
Quelques jours plus tard, le 16 mars, il fait ce qu’il dit et décide de ne pas être représenté- et à travers sa fonction, le gouvernement- à la cérémonie d’hommage rendue depuis 16 ans devant la plaque commémorant l’assassinat de six fonctionnaires de l’Education nationale, le 15 mars 1962 à Alger, par l’OAS.
La parole et l’acte d’un ministre ayant en charge l’Enseignement des élèves de France ne sont pas anodins et incitent à se poser la question : faut-il commémorer ?
Nous sommes dans l’un des cimetières les plus célèbres et le plus visité au monde, où reposent un certain nombre de personnalités –tels Molière et Chopin- mais où s’élèvent aussi :

  • le Mur des Fédérés. Faut-il encore commémorer les 147 fusillés de la Commune de Paris le 28 mai 1871 ?
  • Plusieurs monuments à la mémoire des déportés victimes des camps de concentration et d’extermination nazis. Faut-il ne pas commémorer les morts d’Auschwitz ou de Ravensbrück, sauf à se comporter comme des fanatiques de la commémoration ?
  • A quelques mètres d’ici, sont gravés les noms des quelques 750 Parisiens, Morts pour la France en Afrique du Nord. Devraient-ils être écartés des commémorations ?
  • Pourquoi serions-nous des fanatiques de la commémoration en honorant ici et maintenant la mémoire des 2700 victimes de l’OAS, que cette stèle a été la première en France à honorer : Algériens et Français, civils et militaires, élus, magistrats, fonctionnaires, défenseurs des institutions et des valeurs de la République ?

Qui sont les fanatiques : les terroristes qui les ont assassinés ou celles et ceux qui viennent rendre hommage à leurs innocentes victimes ?

1° La commémoration comme facteur d’unité nationale

Se souvenir ensemble, c’est rappeler avec solennité le souvenir de quelqu’un ou d’un événement important.
Cum memorare, c’est entretenir la mémoire d’un événement qui appartient à l’Histoire collective, afin de la conserver.
C’est participer à la construction de l’Histoire commune aux habitants d’une région, d’un pays, de l’Europe, voire du monde si on réfère aux deux guerres mondiales avec les dates du 11 novembre pour la Première et du 8 mai pour la Seconde.
C’est rappeler sans cesse l’élément constitutif de la mémoire nationale et donc de son identité.
C’est un lieu et un moment privilégié de rencontre entre l’histoire et la mémoire.
Parce qu’elle sert d’exemple et de modèle, la commémoration engage l’Etat. Lorsqu’elle devient un jour férié la nation tout entière participe, volens nolens, à ce cérémonial national.
« L’histoire est la mémoire du peuple » (Malcolm X)
« un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir (Aimé Césaire)

2° La commémoration comme un droit

Refuser de commémorer, c’est imposer le silence à la mémoire, silence qui conduit à l’oubli. Un événement marquant de l’histoire nationale deviendrait alors une page blanche.
Qui peut s’arroger le droit de refuser à une personne ou à une association le droit au souvenir pour lutter contre l’oubli ?
Si cette démarche mémorielle s’inscrit au cœur de l’homme, qui peut lui interdire d’accomplir ce qu’il considère comme son devoir de mémoire ?
Dans la démarche commémorative, rappeler le passé c’est partager des valeurs communes et les transmettre à travers des lieux de mémoire comme il y en a des centaines dans ce cimetière ; comme celui-ci, inauguré le 6 octobre 2011 par le maire de Paris, Bertrand Delanoë.
Comme celui du 101 rue de Grenelle à la mémoire de six fonctionnaires de l’Education nationale « victimes de leur engagement pour les valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France »
Ou à l’Ecole nationale de police de Saint Cyr au Mont D’or, dédiée « aux fonctionnaires de police tombés en opération, victimes du devoir, hors du territoire métropolitain ».
« Une nation qui ne sait pas regarder son passé ne sait pas regarder son avenir » (Alain Touraine).

3° Les dangers de la commémoration

Mais il y a danger à commémorer sans cesse, n’importe qui et n’importe quoi, une sorte de « commémorationite » qui ferait perdre sens et portée à la commémoration.
Dans le cadre de cette dérive mémorielle, on peut assister à un brouillage des valeurs fondatrices de la République, voir même à une inversion de la signification et des valeurs portées par un moment de l’histoire.
Un véritable détournement de la commémoration se met en œuvre qui consiste à célébrer des hommes, des idées ou des événements qui ne le méritent pas, ou qui sont même condamnables.
La commémoration se transforme alors en un moment d’apologie d’une idéologie criminelle, comme celle qui a pu conduire à commettre des actes barbares, pour reprendre les termes du discours du maire de Paris le 6 octobre 2011 pour qualifier le terrorisme de l’OAS.
Le devoir de mémoire comme fidélité aveugle à un passé controversé, expose à des abus de mémoire. On y cultive le ressentiment et le besoin de revanche.
Il est de notre devoir de lutter contre l’avilissement du souvenir qui transforme les bourreaux en victimes et les victimes en coupables.
Il appartient à l’Etat de condamner ces dérives mémorielles et d’empêcher leur cérémonial.
Ce qui n’est pas toujours le cas, tellement il est vrai que la mémoire et l’histoire entretiennent des rapports conflictuels avec le politique.
Pour reprendre ce qu’écrivait George Orwell en 1984 : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé ».
Restons fidèles aux valeurs et aux idéaux que nous partageons tous ici. N’écoutons pas ceux qui font profession d’oublier ce qui les gêne.
Notre présence ici, devant cette stèle, est rappel très fort à ce qu’il faut respecter, à ce qu’il faut honorer, à ce dont il faut se souvenir toujours, à ce qu’il ne faut oublier jamais. »