Au cimetière parisien du Père Lachaise, les victimes civiles et militaires de l’OAS ont pu recevoir l’hommage qui leur est dû le 6 octobre de chaque année, depuis que le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, a dévoilé une stèle commémorative à leur intention : c’était le 6 octobre 2011, et ce neuvième anniversaire n’a pu être célébré qu’en présence de dix personnes en raison des mesures sanitaires imposées localement par la pandémie Covid-19.

Ci-après, outre un compte rendu illustré de cette cérémonie, le texte de mon intervention au nom de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO).

Celle-ci a été suivie d’une déclaration du président de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons », M. Jean-Philippe Ould Aoudia.

Son propos a consisté en une adresse au chef de l’État mettant en lumière la contradiction entre, d’une part, le fond de ses déclarations relatives à la guerre d’Algérie avant et après son accession à la Présidence de la République et, d’autre part, le positionnement de l’une de ses administrations refusant de voir dans les membres de l’OAS des belligérants engagés dans la guerre d’Algérie et, dans les fonctionnaires de l’Éducation nationale victimes de leurs crimes, des personnes éligibles au statut de « Mort pour la France » au même titre que leurs collègues assassinés par le FLN.

Le dépôt de gerbes qui a suivi s’est lui-même prolongé par une minute de silence.

Pascal Joseph, représentant le maire du 20e arrondissement de Paris, a bien voulu conclure cette manifestation mémorielle par un message d’espérance : après s’être symboliquement placé dans l’axe du Monument dédié aux Parisiens morts pour la France en AFN (inauguré en 2003) et de la stèle en mémoire des disparus des Abdellys (érigée en 2015), il a rappelé la lenteur qui s’attache au cheminement vers la juste mémoire, soulignant qu’il aura fallu attendre 1999 pour que les événements d’Algérie soient légalement qualifiés de guerre et 2012 pour que le 19 mars soit érigé en journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

 


 

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Jean-François Gavoury entouré des porte-drapeaux de la FNACA et de la FNDIRP (section Paris-20)

Intervention de Jean-François Gavoury, président de l’ANPROMEVO,
le 6 octobre 2020 à 11h30 au cimetière parisien du Père Lachaise
lors de l’hommage aux victimes civiles et militaires de l’OAS
devant la stèle élevée à leur mémoire le 6 octobre 2011

Monsieur Jean-Philippe Ould Aoudia, président de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons » et moi-même vous épargnerons la liste de celles et de ceux de nos membres qui ont retiré leur participation à cet hommage rituel à l’ensemble des victimes du terrorisme de l’OAS pour vous permettre – pour nous permettre – d’être présents dans la limite du « contingent » réglementaire.

Je présente ici les excuses du Maire du 11e arrondissement, Monsieur François Vauglin, et les sentiments de sympathie solidaire du directeur général de l’Association française des victimes du terrorisme, M. Guillaume de Saint Marc : le premier est retenu par une séance du Conseil de Paris ; le second l’est par le procès en cours que vous savez.

C’est également par la pensée, depuis le Conseil de Paris, que Monsieur Éric Pliez, maire du 20e arrondissement, se joint au souvenir de nos victimes, et je suis très heureux de retrouver Monsieur Pascal Joseph, son délégué en charge de la mémoire et des anciens combattants, avec nous aujourd’hui comme il y a neuf ans.

Je salue enfin l’amicale présence de Monsieur René Riccoboni, président du comité FNACA du 20e arrondissement, porteur du drapeau de la section locale de la FNDIRP, et accompagné du porte-drapeau de la FNACA.

*

Il y a soixante ans jour pour jour, le 6 octobre 1960, le Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l’abandon, était adressé aux quotidiens « Le Figaro » et « Le Monde » pour parution le lendemain.

Ainsi, dans le contexte de la guerre d’Algérie, et en réponse au Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission publié un mois plus tôt, 185 intellectuels français condamnaient « les apologistes de l’insoumission et de la désertion ».

Ils soutenaient l’action de la France et de l’armée en Algérie en ces termes : « L’action de la France consiste, en fait comme en principe, à sauvegarder en Algérie les libertés (…) contre l’installation par la terreur d’un régime de dictature ».

Ils voyaient une imposture dans le fait « de dire ou d’écrire que la France [combattait] le peuple algérien dressé pour son indépendance ».

En opposition frontale au Manifeste des 121, taxé d’acte formel de trahison, celui des 185 considérait que la guerre en Algérie consistait en « une lutte imposée à la France par une minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes, conduits par des chefs armés et soutenus financièrement par l’étranger … [en vue] de la mutilation du territoire [français] ».

Prétendument apolitique, ce manifeste pour l’Algérie française dénonçait les « propagandes de toutes sortes » visant « la jeunesse de France pour l’amener soit à la désertion morale du devoir civique et patriotique, soit à la désertion effective de l’obligation militaire, ainsi que les propagandes de même nature [sévissant] dans les universités pour obscurcir les valeurs morales … ».

Le groupe des 185 sera rapidement renforcé par 150 autres signataires, comprenant des professeurs, des écrivains et des journalistes, tels Jacques Chastenet et le romancier Jacques Laurent, co-fondateur ce dernier, en décembre 1960, de la revue L’Esprit public, futur organe officieux de l’OAS.

Si j’évoque cet anniversaire-là, c’est parce que cette date du 6 octobre 1960 me paraît chargée de sens. Le manifeste des 121 se concluait par l’affirmation selon laquelle « la cause du peuple algérien, [contribuant] de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. » En écho à une aspiration de nature à la fois progressiste et légitime à la paix, le discours réactionnaire pour le maintien de la France dans ce dernier bastion de l’Empire colonial était porteur de radicalité : une radicalité qui inspirera l’argumentaire et l’action criminelle de l’OAS jusqu’après l’indépendance, pour ne pas dire jusqu’à nos jours sous l’effet, cette fois, d’une réécriture de l’histoire pénétrant certaines sphères administratives.

Qu’on en juge ! La direction générale de l’Office national des anciens combattants a été saisie le 18 février 2020 d’une demande d’attribution de la qualité de Mort pour la France à la fois à Monsieur Guy Monnerot, instituteur, tué par le FLN le 1er novembre 1954 (considéré comme la première victime civile de la guerre d’Algérie) et aux six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs dont l’association « Marchand-Feraoun » porte la mémoire, assassinés par un commando de l’OAS sur leur lieu de travail le 15 mars 1962, trois jours avant la signature des Accords d’Évian.

La sentence, inconséquente et manifestement entachée d’iniquité, est tombée le 20 mai sous la plume de Madame Véronique Peaucelle-Delelis : en substance, pour le malheureux Guy Monnerot, volontiers ; mais pour ses six collègues, non point, car l’OAS ne faisait pas partie des belligérants engagés dans la guerre d’Algérie.

Pourquoi pas, dans ce cas, leur accorder la Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, créée à la suite des attentats de 2015 visant la République et les valeurs qu’elle représente ? Impossible, car cette distinction peut certes être décernée de manière rétroactive … mais pas en deçà du 1er janvier 1974.

Idem pour la mention Mort pour le service de la Nation, votée en novembre 2012 et s’appliquant aux décès survenus à compter du 1er janvier 2002 !

Peut-être, alors, l’accès au futur musée-mémorial des sociétés face au terrorisme par le biais de sa thématique relative à l’histoire du terrorisme ? Non plus, ladite thématique n’ayant pas vocation à couvrir les événements antérieurs à la fin des années 1960.

Ainsi le laborieux édifice des lois d’amnistie concernant les peines et sanctions infligées aux activistes de l’OAS semble-t-il s’être prolongé, lors de l’élaboration de chaque texte portant création d’une forme nouvelle de reconnaissance ou distinction, par un montage juridique alambiqué, destiné à exclure méthodiquement les victimes de cette organisation criminelle.

L’amorce d’un changement viendra-t-elle avec – ou dans le prolongement de – la mission que le chef de l’État a confiée fin juillet à l’historien Benjamin Stora sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » ? Nous ne tarderons pas à être fixés.

*

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a tout juste neuf ans, M. Bertrand Delanoë, maire de Paris, nous réunissait ici-même – en nombre, à l’époque ! – nous offrant un espace et un moment de respiration républicaine : un espace permanent, avec ce monument à l’implantation remarquable ; un moment qui se renouvelle à l’occasion des cérémonies qui, chaque année, le 19 mars et le 6 octobre, favorise la mise à l’honneur des victimes de l’OAS.

Sortir des ténèbres de l’oubli et de la négation cette catégorie si spécifique de victimes de la guerre d’Algérie pour les faire enfin accéder à la lumière de la vérité : tel a été le sens de l’acte posé ici par Monsieur Bertrand Delanoë.

Je laisse à cet élu de la capitale qui nous honore de sa présence fraternelle le soin de dire et redire notre gratitude à Monsieur le Maire honoraire de Paris.

 


JOURNÉE D’HOMMAGE AUX VICTIMES CIVILES ET MILITAIRES DE L’OAS
CIMETI
ÈRE PARISIEN DU PÈRE LACHAISE
6 OCTOBRE 2020 [11H15-12H00]

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Une assistance distanciée et réduite

 

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Une assistance distanciée, réduite et sous surveillance

 

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Jean-Philippe Ould Aoudia durant son intervention

 

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Dépôt de gerbe « MARCHAND-FERAOUN »

 

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Dépôt de gerbe « ANPROMEVO »

 

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Les porte-drapeaux de la FNACA de Paris (20e) et de la FNDIRP (section du XXe) durant la minute de silence

 

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M. Pascal Joseph, conseiller d’arrondissement, délégué́ au maire du 20e en charge de la mémoire et des anciens combattants, conclut la cérémonie

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