L’hommage s’est déroulé devant la stèle érigée en hommage à la mémoire des victimes de l’OAS qui se trouve dans la 88e division du cimetière du Père-Lachaise, en bordure de l’allée des Fédérés.
La famille de Jean-François Gavoury et les membres de l’ANPROMEVO, association qu’il a présidée et animée avec ardeur et courage, ont la douleur de vous faire part de son décès survenu à Evian-les-Bains, le 3 août 2023, à l’âge de 73 ans, des suites d’une longue maladie.
Un hommage lui sera rendu le 6 octobre 2023 à 11h00 devant la stèle érigée à la mémoire des victimes de l’OAS au cimetière du Père-Lachaise, 12 ans jour pour jour après son inauguration par le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë.
Plaisir et fierté, ce mardi 8 février en début de soirée, à me trouver au côté successivement, du maître de la cérémonie commémorative (Henri Cukierman, président du « Comité Vérité et Justice pour Charonne »), de Delphine Renard, de François Vauglin (maire du 11e arrondissement de Paris), de Fabien Roussel (député, secrétaire national du Parti communiste), de Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT).
Émotion à l’écoute de Delphine Renard qualifiant si opportunément de « Justes » les neuf morts de Charonne et bénissant leur mémoire.
Émotion au moment d’intervenir face à un auditoire aussi massif dans lequel je reconnais outre un nombre important d’adhérents franciliens de l’association au nom de laquelle je suis appelé à prendre la parole, des amis tels que représentants de la FNACA de Paris, président de l’Espace Guerre d’ALgérie (EGAL), auteure de la bande dessinée « Charonne – Bou Kadir », historien auteur de « Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS ».
Cf. infra texte de mon propos.
Même sentiment en entendant l’implacable réquisitoire contre les autorités de l’époque prononcé par l’estimable maire de l’arrondissement, le discours de campagne du candidat Fabien Roussel et celui, sans complaisance, du responsable de la CGT à qui l’on a dû le rappel des noms et qualités des neuf « Justes de Charonne ».
PS : Une vidéo existe, voir ci-dessous :
« La République, ce n’est pas la police aux ordres d’un préfet tel que Maurice Papon : c’en est même l’opposé ! La République, ce n’est pas un homme politique prétendant haut et fort l’incarner et exprimant sur son visage sa haine féroce de la police : c’en est même la caricature !
« La République, elle est ici, représentée physiquement par ses victimes, leurs descendants, leurs amis.
« Oui, la République française a fait des victimes, en nombre, en masse, il y a une soixantaine d’années, en Algérie comme en France. Des victimes désormais reconnues pour la plupart d’entre elles. Mais d’autres restent occultées : celles de la police parisienne le 8 février 1962 et de l’OAS. Une police et une organisation qui, ici, à Charonne, ont semblé se confondre et s’unir dans un même élan de sauvagerie homicide.
« Des victimes, disais-je, passées par pertes et profits, réduites au silence par des autorités qui, au sein de l’Armée, ont organisé ou couvert la destruction par un certain 2e bureau des archives militaires traitant de l’OAS, par des ministres qui, hier, ont couvert de distinctions honorifiques le torse des tueurs de l’OAS et qui, aujourd’hui, accordent leur sympathie compassionnelle aux anciens complices de ces criminels.
« La République doit reconnaître ses propres faiblesses, ses erreurs, ses fautes, ses forfaits : ce sont son devoir, sa dignité, son honneur.
« Elle doit dénoncer le double discours d’un Roger Frey qui, au lendemain du 8 février 1962, imputait la responsabilité des morts de Charonne aux manifestants eux-mêmes et qui, le 10 mars suivant, dans une allocution télévisée au journal de 20h00, dénonçait la « folie sanguinaire » de l’OAS, cherchant à « s’emparer du pouvoir par des méthodes que le régime hitlérien n’aurait certes pas désavouées », et en fustigeant les membres, qualifiés de « fascistes » et de « revenants de la collaboration ».
« Sachons gré au préfet de police Didier Lallement de sa contribution significative à la vérité, ce matin-même, au cimetière du Père-Lachaise.
« Pour conclure sur une note familiale (c’est tendance !), sur une note apaisée, sur une note d’espérance, je voudrais rapprocher deux déclarations distantes de soixante ans :
– celle de mon père, le jour de son accès au poste de commissaire central du Grand Alger : « L’horizon commence à blanchir et bientôt, je l’espère, luira sur l’Algérie l’aube de la paix. Je voudrais, de toute mon âme, être le Central de la pacification, la vraie cette fois, celle des esprits. Je rêve d’une Alger où les hommes s’entraiment enfin, sans plus être séparés par des races, des religions ou des mers. » ;
– celle à Amboise, il y a trois jours, de l’actuel ambassadeur d’Algérie, M. Antar Daoud, appelant à faire de la Méditerranée un « lac de paix partagée et non un lac de division ».
« Vive la République ici présente, et surtout vive la paix civile, vive la paix des mémoires. »
[Extraits]
Depuis que la France est entrée dans l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, l’ensemble de la presse nationale s’est tenue à distance des victimes de l’OAS, préférant évoquer les mémoires douloureuses des partisans de l’Algérie française, des harkis et des représentants du monde rapatrié.
[…]
En me proposant une interview téléphonique, Le Monde a, le premier, brisé cette forme d’omerta :
Il faut dire que ce quotidien se rappelle avoir, le 15 février 1962, subi l’épreuve d’une bombe visant Jacques Fauvet, son rédacteur en chef adjoint, mais qui blessa légèrement sa fille âgée de huit ans : sombre reproduction de l’attentat dirigé une semaine auparavant contre le ministre André Malraux et dont Delphine Renard sortit à quatre ans et demi mutilée à vie.
Telle était l’OAS dont l’État s’est déshonoré en en célébrant, quasi continûment depuis février 1973, des faits d’armes de même nature. Telle était l’OAS dont la République a délaissé autant les victimes survivantes que les familles des victimes décédées, au nombre estimé de quelque 2 700 ces dernières.
Puisse l’article ci-annexé du journaliste Frédéric Bobin – dont je salue le travail impartial – contribuer à l’édification de ses lecteurs à l’Élysée et encourager Monsieur Emmanuel Macron à laver l’injure nostalgérique faite à la mémoire de l’Émir Abdelkader le samedi 5 février à Amboise : la commémoration demain, à Paris, du drame de Charonne sera pour lui l’occasion d’exalter le souvenir des personnes tombées, des deux côtés de la Méditerranée, sous les coups d’un belligérant aveugle et barbare.
Mais toutes les victimes du conflit n’ont pas encore été honorées. Dans un entretien au Monde Afrique, Jean-François Gavoury, fils de Roger Gavoury, commissaire central d’Alger assassiné par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) le 31 mai 1961, regrette que les morts causés par cette organisation terroriste pro-Algérie française aient jusqu’à présent été « passés sous silence » dans les hommages officiels. Une initiative est attendue ce mardi 8 février de la part de l’Elysée à l’occasion du 60e anniversaire de la répression d’une manifestation organisée par les partis et syndicats de gauche contre « les assassins de l’OAS » et pour la « paix en Algérie » à la station de métro Charonne, à Paris.
Comment jugez-vous cet acte de « reconnaissance » des « injustices » et des « drames » subis par les pieds-noirs d’Algérie lors de l’accession du pays à l’indépendance ?
Il est légitime que les victimes du 26 mars 1962 soient honorées. Cela ne me choque en rien. Soixante ans après, il est plus que temps de procéder à une reconnaissance générale de ce que fut la guerre d’Algérie. De la même manière, je ne suis pas choqué que les harkis se voient reconnaître les traitements inhumains qu’ils ont eu à endurer au lendemain du cessez-le-feu et obtiennent des compensations.
Ce qui me rend amer, c’est que les victimes de l’OAS soient à ce point délaissées. Déjà, le rapport de Benjamin Stora [remis au président de la République en janvier 2021] était silencieux, étrangement silencieux, sur la date du 8 février 1962, celle de la répression de la manifestation anti-OAS et en faveur de la paix en Algérie, au cours de laquelle neuf personnes ont péri au métro Charonne sous les coups de la police de Maurice Papon. Les victimes de l’OAS sont, au moment où nous parlons, les seules victimes de la guerre d’Algérie totalement oubliées par les pouvoirs publics depuis soixante ans. Je dis bien : les seules. Il n’en est pas d’autres.
La qualification de « massacre impardonnable » vous semble-t-elle convenir à propos de la tuerie de la rue d’Isly ?
Je sais gré au président d’avoir mentionné que la foule de manifestants de la rue d’Isly avait « été attisée par l’OAS ». C’est la première fois qu’au sein de l’Etat on précise que cette manifestation avait répondu à un mot d’ordre de l’OAS. Mais qualifier de « massacre impardonnable pour la République » l’usage de la force face à une manifestation à caractère insurrectionnel et appelée par une organisation criminelle peut placer le chef de l’Etat dans une situation délicate.
Si l’administration des anciens combattants et les services d’archives avaient été parfaitement transparents vis-à-vis du chef de l’Etat, ils n’auraient pas manqué de lui adresser les pièces relatives à ce dossier du 26 mars 1962. Car les archives existent bel et bien et elles tendent à démontrer de façon incontestable le fait que le 26 mars 1962, les malheureux musulmans composant le 4e Régiment de tirailleurs – où il n’y avait d’ailleurs pas que des musulmans – ont répondu en état de légitime défense à des tirs émanant de balcons et du toit de l’immeuble du 64 rue d’Isly. Les membres de ce régiment ont réagi instinctivement, en imaginant que ces tirs pouvaient provenir de la foule qu’ils avaient en face d’eux. Le président de la République a été tenu dans l’ignorance d’une réalité déjà reconnue comme un fait historique par des services relevant de son autorité.
« Nous attendons un geste mémoriel de la part du président en hommage aux victimes de l’OAS, qui sont au nombre de 2 700 » |
Que demandez-vous précisément au chef de l’Etat ?
Les victimes de l’OAS sont représentées par deux associations. La première, Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons, est une association vouée à perpétuer le souvenir des six inspecteurs des centres sociaux éducatifs (CSE) en Algérie assassinés collectivement le 15 mars 1962 au CSE de Château-Royal, à Alger. La seconde, plus généraliste, est celle dont je suis le représentant légal : l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (Anpromevo). Nous attendons un geste mémoriel symbolique de la part du président de la République en hommage aux victimes de l’OAS, qui sont au nombre de 2 700 personnes – Européens comme autochtones -, sans compter les blessés.
L’OAS a visé, en Algérie et en France, des fonctionnaires, des magistrats, des élus, des enseignants, des journalistes, tous défenseurs des institutions de la République. Et bien sûr des policiers et des militaires, des gendarmes ou des soldats du contingent, tels ceux qui ont été tirés comme des lapins les 22 et 23 mars 1962 à Bab el-Oued (Alger). Le hasard veut que le procès des assassins de mon père, première victime de l’OAS au sein de la fonction publique, ait débuté le 26 mars 1962, le jour de la tuerie de la rue d’Isly.
Nous ne demandons pas d’argent pour toutes ces familles, parce que cela ne serait pas sain à nos yeux. Car il faut savoir que des militants de l’OAS ont, eux, réclamé et obtenu, aux frais du contribuable, des indemnités. En vertu de l’article 13 de la loi du 23 février 2005, ces tueurs ayant abattu nos pères et nos mères ont eu accès à des compensations financières du fait qu’ils avaient dû interrompre leur activité professionnelle pour se joindre aux factieux, s’étaient exilés pour échapper à la justice et n’avaient pas pu cotiser pendant ce temps pour leur future retraite civile. Ces indemnités se sont élevées à 1 250 euros par trimestre, soit 5 000 euros par année. Des sommes substantiellement supérieures aux réparations accordées aux harkis qui, eux, s’étaient placés du côté de la République.
« Je ne connais pas les intentions du chef de l’Etat, mais je compte sur lui car il me semble témoigner d’un esprit d’ouverture » |
Quelle forme pourrait prendre ce geste mémoriel de la part du président de la République ?
Nous n’attendons pas de lui de la compassion, mais de la compréhension de ce qu’ont été la douleur et les souffrances des familles des victimes de l’OAS, jusque-là complètement passées sous silence. M. Macron peut accomplir ce geste soit le 8 février, à l’occasion du 60e anniversaire de la répression du métro Charonne, soit le 19 mars, lors de l’anniversaire de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu consécutif aux accords d’Evian. Dans ce deuxième cas, il pourrait se joindre à la cérémonie tenue chaque année au matin de ce même 19 mars devant une stèle érigée en octobre 2011 par la ville de Paris à la demande de notre association en hommage aux victimes de l’OAS. Mais pour l’instant, je ne connais pas les intentions du chef de l’Etat. Je compte sur lui car il me semble témoigner d’un esprit d’ouverture. Je l’ai même trouvé extrêmement courageux d’avoir déclaré en aparté, à la fin de sa rencontre avec les rapatriés le 26 janvier à l’Elysée, qu’il ne reviendrait pas sur ses propos de 2017 à Alger assimilant la colonisation à un « crime contre l’humanité ».
27 janvier 2022
La fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 à Alger a consisté en « un massacre impardonnable pour la République »
(Emmanuel Macron, Palais de l’Élysée, 26 janvier 2022)
À l’égard de certaines mémoires en relation avec la fin de la colonisation de l’Algérie, la déclaration de Monsieur Emmanuel Macron du 26 janvier 2022 relative aux événements survenus le 26 mars 1962 à Alger pourrait être regardée, en l’état et à ce stade, comme une déclaration de guerre.
On est d’emblée tenté d’y voir une initiative s’inscrivant dans le droit fil de la réception au Palais de l’Élysée, le 30 septembre dernier, d’un descendant du général félon Raoul Salan, chef suprême de l’OAS, responsable du putsch d’avril 1961.
Pourtant, cette proclamation doit être replacée dans le contexte d’une intervention, et celle-ci ne s’applique pas à dissimuler l’identité des instigateurs d’une action qui va virer au drame : « Ce jour-là, des soldats du 4e régiment de tirailleurs, une unité de l’armée française, firent feu sur une foule qui manifestait, attisée par l’OAS, son attachement à l’Algérie française en cherchant à rompre le blocus du quartier de Bab-El-Oued. Ce jour-là, des soldats français, déployés à contre-emploi, mal commandés, moralement atteints, ont tiré sur des Français. Il est plus que temps de le dire. Ce qui devait être une opération de maintien de l’ordre s’acheva par un massacre, un massacre dont aucune liste définitive des victimes ne fut établie, qui fit des dizaines de tués et des centaines de blessés. »
L’hommage rendu aux victimes ne souffre aucune contestation.
Mais qualifier de « massacre impardonnable pour la République » l’usage de la force face à une manifestation à caractère insurrectionnel appelée par une organisation criminelle en dépit de l’interdiction générale découlant des Accords de cessez-le-feu en Algérie peut placer le chef de l’État en situation délicate si l’ouverture des archives révèle que l’armée a tiré en état de légitime défense.
Un tel propos est par ailleurs susceptible d’embarrasser le ministre de l’intérieur :
– dont l’un des illustres prédécesseurs, Monsieur Roger Frey, dans une allocution télévisée au journal de 20h00 le 10 mars 1962, dénonçait la « folie sanguinaire » de l’OAS, cherchant à « s’emparer du pouvoir par des méthodes que le régime hitlérien n’aurait certes pas désavouées », et en fustigeait les membres, qualifiés de « fascistes » et de « revenants de la collaboration » ;
– au moment même où Monsieur Gérald Darmanin a à gérer une situation d’extrême violence à Nantes, livrée à des manifestations non déclarées ou maintenues au mépris de leur interdiction préalable.
Rappelons par ailleurs, à titre non anecdotique, que le Gouvernement se targue ces jours-ci d’avoir soumis au Parlement le vote d’une indemnisation forfaitaire en faveur des harkis calculée sur la base de 1 000 euros par année de rétention en camp contre 1 259 euros par trimestre d’activisme belligérant aux anciens tueurs de l’OAS en vertu (!) des dispositions de l’article 13 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005.
Retenons, enfin et surtout :
1°) que la Présidence de la République, au soir du 26 janvier 2022, a fait paraître sur son site Internet une communication se concluant en ces termes : « Le Président de la République, comme il s’y est engagé lors de la remise du rapport de Benjamin Stora, participera à la commémoration du 19 mars 1962, sous une forme, là encore, conçue spécifiquement pour notre époque. » ;
2°) que des propositions ont été remises en ce sens à son conseiller « Mémoire » le 15 novembre dernier et présentées oralement le même jour à la Première dame ;
3°) qu’entre-temps, le 8 février 2022, sera célébré à Paris, au Métro Charonne, le souvenir tragique, soixante après, des victimes d’une manifestation prônant la paix en Algérie et qu’un geste mémoriel issu du niveau sommital de l’État n’est pas exclu à cette occasion.
Le 60e anniversaire de l’entrée en guerre de l’OAS, c’est ce jour.
25 janvier 2021
La longue série des commémorations de la période 1961-1962 de la guerre d’Algérie commence avec le soixantième anniversaire de l’assassinat à Alger de Maître Pierre Popie, avocat libéral, tué par l’OAS quelques jours avant l’acte de naissance officiel de ce groupe armé qui ne tardera pas à s’ériger en authentique partie belligérante dans le cadre de ce conflit.
Vont prochainement revenir à la surface :
– le 31 mars, le souvenir de Camille Blanc, maire d’Évian ;
– le 22 avril, celui de Pierre Brillant, maréchal des logis, victime du putsch des généraux à Ouled Fayet ;
– le 31 mai, celui de mon père, commissaire central du Grand Alger ;
– et puis, et puis de tant d’autres, par centaines, pour atteindre quelque 2.700 morts (et d’innombrables blessés !).
Les dix-huit mois à venir seront une épreuve insupportable pour les descendants de victimes de l’OAS si la République et la Nation ne prennent pas enfin conscience de la nécessité de leur rendre justice en en reconnaissant officiellement la douleur et en honorant leurs pères et leurs mères à la hauteur de leur sacrifice.
Jean-François Gavoury
Président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO)
Adresse postale : 7 rue des Petits Bois 92370 Chaville
HEXAGONE EXPRESS
Jeudi 21 janvier 2021
La France n’en finira jamais de nous étonner. Pour mieux la comprendre, essayons donc d’abord de la raconter chaque jeu
– Richard Werly, correspondant permanent à Paris.
HEXAGONE EXPRESS – OPINION. Le rapport remis mercredi 20 janvier à Emmanuel Macron par l’historien Benjamin Stora n’est pas de nature à tourner la page de l’aventure algérienne de la France, écrit Richard Werly.
Trop de larmes, de frustrations et de sang versé continuent d’empoisonner cette impossible décolonisation psychologique
Tout observateur de cette tragédie historique qu’est l’aventure coloniale de la France en Algérie devrait se rendre au cimetière Haut Vernet à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Là, entre les tombes bien alignées de familles de rapatriés, contraints de quitter la rive sud de la Méditerranée entre «la valise et le cercueil» après le référendum sur l’indépendance du 1er juillet 1962, un monument se dresse, montrant un homme en train de s’écrouler, attaché à un poteau. Cette stèle des fusillés, toujours fleurie, a été érigée en mémoire des combattants de l’OAS, l’Organisation de l’armée secrète qui, rien qu’en 1962, tua plus de 1600 personnes, dont 239 Européens. La blessure impossible à cicatriser est là, incarnée par cet hommage de pierre et de bronze à celui qui tenta, le 22 août 1962, d’en finir avec le «traître» Charles de Gaulle lors de l’attentat du Petit-Clamart: l’ex-lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry, exécuté à 35 ans. Les braises de la haine, depuis, ne se sont pas éteintes.
Un mur d’incompréhension
Il faut avoir cela en tête en lisant le rapport qu’a rendu, mercredi 20 janvier, l’historien Benjamin Stora, dont on recommande l’excellente compilation Une Mémoire algérienne (Bouquins, Ed. Robert Laffont). L’Algérie est une tragédie française que beaucoup refusent encore de regarder en face. Une tragédie qui ne se limite pas à l’épouvantable décolonisation, sur fond de guerre et d’horreurs, entre la Toussaint rouge du 1er novembre 1954 – première offensive du Front de libération nationale – et le départ du dernier contingent français d’Alger, clôturant une conquête entamée en juin 1830.
Hervé Bourges, ancien patron de TF1 décédé en 2020, l’avait bien expliqué dans son livre De mémoire d’éléphant (Éd. Grasset). Il avait été de ceux qui, après l’indépendance, choisirent d’aider la nouvelle République en conseillant son premier président, Ahmed Ben Bella. «Il suffit de se rendre dans le sud de la France pour se rendre compte que certains n’admettent toujours pas l’indépendance de l’Algérie, expliquait-il dans son ouvrage. On érige des monuments à la gloire de l’OAS, mais dès qu’on parle de l’Algérie demeurent les clichés de l’islamisation. Mais ce pays est autre chose. On dénonce à juste titre le terrorisme en France, mais on a fermé les yeux pendant dix ans sur les 200 000 victimes du terrorisme en Algérie.» En bref : un mur d’incompréhension.
Il faut aussi avoir en tête, une fois le rapport Stora ouvert avec ses 22 recommandations – parmi lesquelles la mise en place d’une commission «Mémoire et Vérité»; construire une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader; reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel durant la bataille d’Alger de 1957; publier un «guide des disparus» de la guerre d’Algérie; faciliter les déplacements de harkis (les «Algériens» qui se rallièrent à la France) de l’autre côté de la Méditerranée… – qu’Emmanuel Macron a lui-même, en 2016, ravivé cette mémoire blessée.
Lire aussi: 2021, l’année compassionnelle d’Emmanuel Macron
Lorsqu’il qualifie, à Alger, la colonisation de «crime contre l’humanité», celui qui aspire alors à la fonction suprême fait le choix de rompre le pacte du silence. Le vote de la communauté d’origine maghrébine pèse lourd. Né en 1977, quinze ans après l’indépendance, le candidat Macron frappe fort: «J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie» énonce le futur président français au micro du journaliste vedette d’Echorouk News, Khaled Drareni (emprisonné depuis dix mois pour incitation à un attroupement non armé). Et d’ajouter : «La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Cela fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers qui nous avons commis ces gestes.»
Revendications communautaires
Voilà le tableau que la France de 2021 a devant elle. Il est historique, émotionnel, religieux, culturel, social, familial. Avec ce que cela suppose d’arguments «civilisationnels» hérités du passé, impossibles à faire entendre à l’heure des légitimes revendications communautaires des jeunes générations. Les coulisses de l’histoire franco-algérienne sont, depuis plus d’un siècle, les oubliettes de la République. Le grand nombre de binationaux (on parle de 4 millions) panique les autorités françaises à chaque crise politique survenue à Alger. L’Etat social français y perd pied, piégé par sa générosité et sa bureaucratie. La jeunesse des deux pays se désespère devant l’enlisement du «hirak» (le soulèvement pacifique de 2019-2020), la prédation organisée de l’armée algérienne et la mainmise de l’islamisme. Le rapport Stora est une épitaphe. Le cimetière colonial n’a pas fini d’accueillir les cercueils.
À lire aussi dans «Hexagone Express» :
. Correspondant étranger, cible (parfaite) du malaise hexagonal
. Jean Noël Jeanneney, historien et héritier gaulliste
Paris, le 21 janvier 2021
Le rapport si attendu de Benjamin Stora a été très officiellement remis hier au Président de la République et aussitôt publié sur le site Internet de l’Élysée.
Vous le trouverez en bas de cet article.
Le discours est en phase avec celui, immuable, des services tant du ministère en charge des anciens combattants que de l’un de ses établissements publics, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre :
– on parle des soldats Morts pour la France en oubliant non seulement certaines victimes civiles mais aussi (sinon surtout) l’ensemble des membres des forces de l’ordre ;
– on ne dit pas de quelles organisations certains « civils » ont été les victimes, car citer celles de l’OAS reviendrait à les placer au même rang que les victimes du FLN et les rendre par conséquent éligibles à la qualité de Mort pour la France alors que le Conseil d’État ne reconnait admissibles à ce statut que celles d’une seule partie belligérante, le FLN.
Je retiens d’une lecture cursive des 157 pages du rapport de M. Benjamin Stora les éléments ci-après :
1°) Le mot « victimes » est mentionné huit fois.
2°) À plusieurs reprises, dans ce rapport, il est question de la commémoration du 17 octobre 1961, en particulier par le maire de Paris en 2001 et 2012, mais celles du 8 février 1962 à Charonne sont occultées.
3°) À nul endroit, il n’est fait état de l’initiative de Bertrand Delanoë concrétisée le 6 octobre 2011 au cimetière du Père-Lachaise (première stèle d’une institution française érigée en hommage et à la mémoire de toutes les victimes civiles et militaires de l’OAS en Algérie et en France).
4°) Le président de la Maison des agriculteurs et des Français d’Afrique du Nord (MAFA), ami des nostalgiques de l’Algérie française et des anciens activistes de l’OAS, a pu échanger avec – et recevoir les remerciements de – Benjamin Stora … à propos de qui Jean-Félix Vallat déclarait en novembre 2020, dans le bulletin d’information de son association : « Si ce chargé de mission est naturellement libre des conclusions qu’il formulera, dont on peut imaginer qu’elle reflètera son tropisme anticolonial, il ne saurait dénaturer sa démarche en ignorant la mémoire douloureuse des vaincus politiques de la guerre d’Algérie ».
5°) Une note de bas de page (n° 25 en pages 32 et 33) comporte une allusion aux victimes de l’OAS ainsi libellée :
« Ce « monde du contact » a été brisé par les exactions commises, notamment à la fin de la guerre d’Algérie, par certains commandos extrémistes de l’OAS, comme l’assassinat le 15 mars 1962, de l’enseignant Mouloud Feraoun et ses compagnons des centres sociaux fondés par Germaine Tillion. Voir sur ce point d’histoire, L’assassinat de Château-Royal, par Jean-Philippe Ould Aoudia, Paris, Ed. Tirésias, 1992. Et aussi, les initiatives de Jean-François Gavoury, son article dans L’Express, « Le dernier combat de l’OAS », le 7 novembre 2005 à propos d’une stèle érigée à Marignane en faveur de l’OAS. »
Le combat pour la célébration de la mémoire de nos victimes est plus que jamais d’actualité à la veille du soixantième anniversaire de la création de ce groupe armé insurrectionnel.
Jean-François Gavoury, président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO)
Mél. : anpromevo@noos.fr
Consulter le rapport Benjamin Stora au Président de la République 20 janvier 2021
Paris, le 21 janvier 2021
LE rapport qui va permettre la RÉCONCILIATION entre les peuples français et algérien
Ce document de 157 pages fera date dans l’historiographie de la guerre d’Algérie. En effet, de la même manière que Bach et Mozart écrivaient des partitions à la demande des princes qui leur permettaient de pratiquer leur art, BS rédige, à la demande du Président de la République française, un document pour lui permettre de « s’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algériens (sic)».
C’est donc sous le prisme de la réconciliation (répétée 2 fois dans la lettre de mission du Président, 6 fois p. 39 et 1 fois p. 92) que sont traitées « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », titre du document.
LE rapport commence par la citation d’une phrase de Camus et une autre extraite du Journal de Feraoun, ce qui ne pouvait que me satisfaire. L’ensemble du document est très intéressant, très documenté, très précis, rédigé par un historien universitaire de talent, rompu aux relations entre mémoire et histoire, ici entre mémoires et histoires de la guerre d’Algérie « entraînant une compétition victimaire où chacun se pose en victime supérieure à l’autre dans l’abandon (p. 92) ».
La compétence et la maîtrise du sujet par l’auteur autorisent à dire que ses oublis, ses périphrases, ses non-dits n’en sont pas vraiment. C’est bien une écriture partisane de l’histoire qui nous est donc proposée dans le but – certes tout à fait louable – d’une réconciliation entre les peuples algérien et français.
À la condition qu’elle ne se fasse pas au détriment de qui que ce soit !
BS parle en p. 17 d’André Rossfelder, qui « raconte son engagement pour le maintien de l’Algérie dans la France ». Ce que ne précise pas BS, c’est que l’engagement de Rossfelder s’est fait dans l’OAS. Condamné à mort par contumace pour sa participation à la tentative d’assassinat du président de la République, Charles de Gaulle, au mont Faron, à Toulon, le 15 août 1964. C’est le terroriste Rossfelder qui a transmis à un ami une liste de condamnés à mort par l’OAS, avec la mention « fait », ou bien « loupé » ou bien « en cours de préparation » en face des noms (voir Annexes p. 130 de La Bataille de Marignane).
BS rend un nouvel hommage, en page 39, au « beau livre d’André Rossfelder, ami d’A. Camus ». Bien des auteurs, cités par BS, auraient été heureux de voir qualifier de beaux leurs ouvrages.
Quand on lit les précisions de toute nature que sait apporter BS tout au long de son rapport, et qui font d’ailleurs son intérêt, on reste admiratif devant la dualité du rédacteur, surtout lorsqu’il déplore plus loin l’« effacement de faits pouvant ouvrir à un négationnisme généralisé ».
En page 32, dans la note de bas de page no 25 :
Ce « monde du contact » a été brisé par les exactions commises, notamment à la fin de la guerre d’Algérie, par certains commandos extrémistes de l’OAS, comme l’assassinat le 15 mars 1962, de l’enseignant Mouloud Feraoun et ses compagnons des centres sociaux fondés par Germaine Tillion. Voir sur ce point d’histoire, L’Assassinat de Château-Royal, par Jean-Philippe Ould Aoudia, Paris, Ed. Tirésias, 1992. Et aussi, les initiatives de Jean-François Gavoury, dans L’Express, « Le dernier combat de l’OAS », le 7 novembre 2005 à propos d’une stèle érigée à Marignane en faveur de l’OAS.
Relisons : Par certains commandos extrémistes de l’OAS. Selon Stora, il y aurait, parmi les groupes terroristes de cette organisation criminelle, des commandos extrémistes et d’autres qui le seraient moins. Voire modérés. Ou pas extrémistes du tout, comme Rossfelder qui, sereinement, raconte dans un beau livre son engagement pour le maintien de l’Algérie dans la France. Feraoun et ses cinq collègues auraient eu, selon BS, la malchance de tomber sous les balles d’un commando extrémiste de l’OAS.
BS parle à plusieurs reprises du 17 octobre 1961, date du massacre d’Algériens par la police parisienne placée sous les ordres du préfet de police Maurice Papon. Il précise que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, s’est rendu plusieurs fois à la commémoration. C’est bien de le dire.
Par contre, on ne lit rien sur la répression sanglante de la manifestation organisée pour dénoncer les crimes de l’OAS, au métro Charonne, le 8 février 1962, par la même police parisienne placée sous les ordres du même Papon. La grande manifestation de centaines de milliers de Français contre l’OAS ne mérite pas de figurer dans la chronologie de la guerre d’Algérie écrite par l’historien de Cour.
Pas un mot non plus sur l’inauguration, par le même Bertrand Delanoë, de la stèle érigée au Père-Lachaise à la mémoire des victimes françaises et algériennes de l’OAS.
Silence de l’historien sur les hommages annuels rendus chaque 19 mars et chaque 6 octobre aux 2.700 victimes civiles et militaires, algériennes et françaises, de l’OAS.
Voilà un exemple de l’écriture hémiplégique de l’histoire justement dénoncée par BS.
À plusieurs reprises, BS cite les nombreux groupes de personnes traumatisées par la guerre, en particulier en page 7, dans la note de bas de page où il liste 8 groupes parmi lesquels ne figurent pas les descendants de victimes de l’OAS, lesquels, pour BS, ne sont pas des personnes traumatisées.
Reconnaissons tout de même à l’historien le mérite de parler « de quasi-guerre civile entre 1960 et 1962, avec les attentats de l’OAS » et de citer « la monographie importante sur l’OAS » écrite par Alain Ruscio (p. 21).
En annexe, BS cite les noms des nombreuses personnes avec lesquelles il s’est entretenu avant de rédiger LE rapport. Dix d’entre elles font partie de nos amis et de nos soutiens. L’association Marchand-Feraoun n’a jamais été sollicitée, elle qui honore six fonctionnaires
de l’Éducation nationale « victimes de leur engagement pour les valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France ».
Or c’est ce que dit aussi la première phrase de la lettre de mission du Président de la République : « une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algériens » (sic). Notre association est en harmonie avec l’objectif du Président de la République.
Mais alors, Monsieur Stora, pourquoi ne pas l’avoir consultée ?
Parmi les 25 propositions formulées dans LE rapport en vue de réconcilier les peuples algérien et français, la plus subtile – sinon diabolique – est celle portant le n° 2 :
Un geste pourrait être l’inclusion dans le décret 2003-925 du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie d’un paragraphe dédié au souvenir et à l’oeuvre des femmes et des hommes qui ont vécu dans des territoires autrefois français et qui ont cru devoir les quitter à la suite de leur accession à la souveraineté.
Non, Monsieur Stora ! Ce n’est pas l’indépendance de l’Algérie qui a provoqué l’exode des pieds noirs. Serait-ce là, de votre part, une remise en cause du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?
Ce sont, et vous le savez, toutes les horreurs commises par l’OAS qui ont incité les pieds-noirs, -et parmi eux tous les membres de ma famille maternelle- à fuir l’Algérie de peur des représailles à la suite, entre autres atrocités dont l’OAS s’est rendue coupable envers les Algériens : les tirs de mortier sur la Casbah surpeuplée, la pose de bombe devant le centre d’embauche des dockers, les malades tués à bout portant sur leurs lits, les « ratonnades », les femmes de ménage poignardées, etc.
Au bout du compte : 2700 victimes surtout algériennes mais aussi françaises.
Et vous le savez très bien, vous, historien spécialiste de la guerre d’Algérie.
Mais alors, pourquoi ne pas l’écrire au Président de la République ? Pourquoi cette négation de l’OAS dans l’histoire de la guerre d’Algérie ? Pourquoi, après réflexion, induire délibérément en erreur le Président de la République en pratiquant l’effacement de faits pouvant ouvrir à un négationnisme généralisé comme vous l’écrivez ?
Non Monsieur Stora ! Nous n’acceptons pas que la réconciliation entre Français et Algériens se fasse au détriment de la mémoire des victimes de l’OAS et de la négation de la souffrance de leurs familles. Nous formulons cette proposition en complément de la vôtre :
Un geste pourrait être l’inclusion dans le décret 2003-925 du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, d’un paragraphe dédié au souvenir et à l’oeuvre des femmes et des hommes victimes de leur engagement pour les valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France.
Jean-Philippe Ould Aoudia (1)
(1 )Auteur de L’Assassinat de Château-Royal, Paris, Éd. Tirésias, 1992
Consulter le Rapport Benjamin Stora au Président de la République 20 janvier 2021
Au cimetière parisien du Père Lachaise, les victimes civiles et militaires de l’OAS ont pu recevoir l’hommage qui leur est dû le 6 octobre de chaque année, depuis que le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, a dévoilé une stèle commémorative à leur intention : c’était le 6 octobre 2011, et ce neuvième anniversaire n’a pu être célébré qu’en présence de dix personnes en raison des mesures sanitaires imposées localement par la pandémie Covid-19.
Ci-après, outre un compte rendu illustré de cette cérémonie, le texte de mon intervention au nom de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO).
Celle-ci a été suivie d’une déclaration du président de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons », M. Jean-Philippe Ould Aoudia.
Son propos a consisté en une adresse au chef de l’État mettant en lumière la contradiction entre, d’une part, le fond de ses déclarations relatives à la guerre d’Algérie avant et après son accession à la Présidence de la République et, d’autre part, le positionnement de l’une de ses administrations refusant de voir dans les membres de l’OAS des belligérants engagés dans la guerre d’Algérie et, dans les fonctionnaires de l’Éducation nationale victimes de leurs crimes, des personnes éligibles au statut de « Mort pour la France » au même titre que leurs collègues assassinés par le FLN.
Le dépôt de gerbes qui a suivi s’est lui-même prolongé par une minute de silence.
Pascal Joseph, représentant le maire du 20e arrondissement de Paris, a bien voulu conclure cette manifestation mémorielle par un message d’espérance : après s’être symboliquement placé dans l’axe du Monument dédié aux Parisiens morts pour la France en AFN (inauguré en 2003) et de la stèle en mémoire des disparus des Abdellys (érigée en 2015), il a rappelé la lenteur qui s’attache au cheminement vers la juste mémoire, soulignant qu’il aura fallu attendre 1999 pour que les événements d’Algérie soient légalement qualifiés de guerre et 2012 pour que le 19 mars soit érigé en journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Intervention de Jean-François Gavoury, président de l’ANPROMEVO,
le 6 octobre 2020 à 11h30 au cimetière parisien du Père Lachaise
lors de l’hommage aux victimes civiles et militaires de l’OAS
devant la stèle élevée à leur mémoire le 6 octobre 2011
Monsieur Jean-Philippe Ould Aoudia, président de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons » et moi-même vous épargnerons la liste de celles et de ceux de nos membres qui ont retiré leur participation à cet hommage rituel à l’ensemble des victimes du terrorisme de l’OAS pour vous permettre – pour nous permettre – d’être présents dans la limite du « contingent » réglementaire.
Je présente ici les excuses du Maire du 11e arrondissement, Monsieur François Vauglin, et les sentiments de sympathie solidaire du directeur général de l’Association française des victimes du terrorisme, M. Guillaume de Saint Marc : le premier est retenu par une séance du Conseil de Paris ; le second l’est par le procès en cours que vous savez.
C’est également par la pensée, depuis le Conseil de Paris, que Monsieur Éric Pliez, maire du 20e arrondissement, se joint au souvenir de nos victimes, et je suis très heureux de retrouver Monsieur Pascal Joseph, son délégué en charge de la mémoire et des anciens combattants, avec nous aujourd’hui comme il y a neuf ans.
Je salue enfin l’amicale présence de Monsieur René Riccoboni, président du comité FNACA du 20e arrondissement, porteur du drapeau de la section locale de la FNDIRP, et accompagné du porte-drapeau de la FNACA.
*
Il y a soixante ans jour pour jour, le 6 octobre 1960, le Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l’abandon, était adressé aux quotidiens « Le Figaro » et « Le Monde » pour parution le lendemain.
Ainsi, dans le contexte de la guerre d’Algérie, et en réponse au Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission publié un mois plus tôt, 185 intellectuels français condamnaient « les apologistes de l’insoumission et de la désertion ».
Ils soutenaient l’action de la France et de l’armée en Algérie en ces termes : « L’action de la France consiste, en fait comme en principe, à sauvegarder en Algérie les libertés (…) contre l’installation par la terreur d’un régime de dictature ».
Ils voyaient une imposture dans le fait « de dire ou d’écrire que la France [combattait] le peuple algérien dressé pour son indépendance ».
En opposition frontale au Manifeste des 121, taxé d’acte formel de trahison, celui des 185 considérait que la guerre en Algérie consistait en « une lutte imposée à la France par une minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes, conduits par des chefs armés et soutenus financièrement par l’étranger … [en vue] de la mutilation du territoire [français] ».
Prétendument apolitique, ce manifeste pour l’Algérie française dénonçait les « propagandes de toutes sortes » visant « la jeunesse de France pour l’amener soit à la désertion morale du devoir civique et patriotique, soit à la désertion effective de l’obligation militaire, ainsi que les propagandes de même nature [sévissant] dans les universités pour obscurcir les valeurs morales … ».
Le groupe des 185 sera rapidement renforcé par 150 autres signataires, comprenant des professeurs, des écrivains et des journalistes, tels Jacques Chastenet et le romancier Jacques Laurent, co-fondateur ce dernier, en décembre 1960, de la revue L’Esprit public, futur organe officieux de l’OAS.
Si j’évoque cet anniversaire-là, c’est parce que cette date du 6 octobre 1960 me paraît chargée de sens. Le manifeste des 121 se concluait par l’affirmation selon laquelle « la cause du peuple algérien, [contribuant] de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. » En écho à une aspiration de nature à la fois progressiste et légitime à la paix, le discours réactionnaire pour le maintien de la France dans ce dernier bastion de l’Empire colonial était porteur de radicalité : une radicalité qui inspirera l’argumentaire et l’action criminelle de l’OAS jusqu’après l’indépendance, pour ne pas dire jusqu’à nos jours sous l’effet, cette fois, d’une réécriture de l’histoire pénétrant certaines sphères administratives.
Qu’on en juge ! La direction générale de l’Office national des anciens combattants a été saisie le 18 février 2020 d’une demande d’attribution de la qualité de Mort pour la France à la fois à Monsieur Guy Monnerot, instituteur, tué par le FLN le 1er novembre 1954 (considéré comme la première victime civile de la guerre d’Algérie) et aux six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs dont l’association « Marchand-Feraoun » porte la mémoire, assassinés par un commando de l’OAS sur leur lieu de travail le 15 mars 1962, trois jours avant la signature des Accords d’Évian.
La sentence, inconséquente et manifestement entachée d’iniquité, est tombée le 20 mai sous la plume de Madame Véronique Peaucelle-Delelis : en substance, pour le malheureux Guy Monnerot, volontiers ; mais pour ses six collègues, non point, car l’OAS ne faisait pas partie des belligérants engagés dans la guerre d’Algérie.
Pourquoi pas, dans ce cas, leur accorder la Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, créée à la suite des attentats de 2015 visant la République et les valeurs qu’elle représente ? Impossible, car cette distinction peut certes être décernée de manière rétroactive … mais pas en deçà du 1er janvier 1974.
Idem pour la mention Mort pour le service de la Nation, votée en novembre 2012 et s’appliquant aux décès survenus à compter du 1er janvier 2002 !
Peut-être, alors, l’accès au futur musée-mémorial des sociétés face au terrorisme par le biais de sa thématique relative à l’histoire du terrorisme ? Non plus, ladite thématique n’ayant pas vocation à couvrir les événements antérieurs à la fin des années 1960.
Ainsi le laborieux édifice des lois d’amnistie concernant les peines et sanctions infligées aux activistes de l’OAS semble-t-il s’être prolongé, lors de l’élaboration de chaque texte portant création d’une forme nouvelle de reconnaissance ou distinction, par un montage juridique alambiqué, destiné à exclure méthodiquement les victimes de cette organisation criminelle.
L’amorce d’un changement viendra-t-elle avec – ou dans le prolongement de – la mission que le chef de l’État a confiée fin juillet à l’historien Benjamin Stora sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » ? Nous ne tarderons pas à être fixés.
*
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a tout juste neuf ans, M. Bertrand Delanoë, maire de Paris, nous réunissait ici-même – en nombre, à l’époque ! – nous offrant un espace et un moment de respiration républicaine : un espace permanent, avec ce monument à l’implantation remarquable ; un moment qui se renouvelle à l’occasion des cérémonies qui, chaque année, le 19 mars et le 6 octobre, favorise la mise à l’honneur des victimes de l’OAS.
Sortir des ténèbres de l’oubli et de la négation cette catégorie si spécifique de victimes de la guerre d’Algérie pour les faire enfin accéder à la lumière de la vérité : tel a été le sens de l’acte posé ici par Monsieur Bertrand Delanoë.
Je laisse à cet élu de la capitale qui nous honore de sa présence fraternelle le soin de dire et redire notre gratitude à Monsieur le Maire honoraire de Paris.
JOURNÉE D’HOMMAGE AUX VICTIMES CIVILES ET MILITAIRES DE L’OAS
CIMETIÈRE PARISIEN DU PÈRE LACHAISE
6 OCTOBRE 2020 [11H15-12H00]
Le huitième anniversaire de la première stèle dédiée par une institution publique à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France a donné lieu à des cérémonies tant à Paris (cimetière du Père-Lachaise) qu’à Alençon (place de la Résistance).
Le président de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons » a pris en charge l’organisation du rassemblement parisien et prononcé le discours reproduit ci-après :
Chères amies,
Chers amis,
Nous nous réunissons devant cette stèle tous les ans, depuis le 6 octobre 2011, date de son inauguration par l’ancien maire de Paris, Monsieur Bertrand Delanoë.
L’aide de Madame Catherine Vieu-Charier, adjointe chargée de la Mémoire et du Monde Combattant, a été déterminante dans l’édification de ce mémorial.
Qu’ils soient l’un et l’autre chaleureusement remerciés.
Plusieurs personnes m’ont chargé d’excuser leur absence :
Aujourd’hui, à la même heure, une stèle à la mémoire d’Alfred Locussol, assassiné par l’OAS à Alençon, est inaugurée en présence des autorités. Sont présents Jean François Gavoury, président de l’ANPROMEVO, et Françoise Nordmann, qui représente l’association Marchand-Feraoun, et qui ne peuvent donc pas être avec nous.
J’ai dit stèle, mais pour être plus précis, je devrais dire la sixième stèle car depuis son inauguration en 2012, ce monument a été profané à six reprises, si ce n’est davantage ! Ce qui m’amène à exprimer quelques observations.
Sous couvert de neutralité, un courant de pensée prospère insidieusement autour de la guerre d’Algérie. Il est devenu de bon ton d’affirmer que deux mémoires symétriques s’affronteraient aujourd’hui :
Lors d’un colloque tenu l’an dernier à la mairie de Paris, un orateur, se prévalant d’impartialité, a mis clairement sur le même plan la mémoire de ceux qui ont utilisé la force des armes pour imposer leurs idées, et la mémoire de ceux qui en ont été les victimes. Et les représentants de ces deux mémoires, selon cette personne, se livreraient aujourd’hui un combat mémoriel.
Ce type d’argumentation, qui renvoie dos à dos l’agresseur et sa victime, est toujours largement utilisé pour tenter de justifier les crimes de la répression française pendant la guerre, parce qu’ils constitueraient des réponses légitimes aux crimes commis en premier par le FLN. C’est oublier, bien sûr, que la violence venait d’abord de la guerre de conquête particulièrement barbare, mais aussi de l’inégalité du Statut de 1947, et du double collège et de la fraude électorale et de toutes ces discriminations racistes auxquelles l’insurrection algérienne fut la seule réponse possible.
Renvoyer aujourd’hui dos à dos la mémoire des anciens de l’OAS et celle de leurs victimes ressort d’un même refus de voir qui étaient les vrais responsables de la révolte des Algériens et qui sont aujourd’hui les vrais responsables de la guerre mémorielle.
Trois exemples suffiront à le démontrer.
Alfred Locussol est assassiné le 3 janvier 1962 à son domicile d’Alençon. Le tueur de l’OAS est venu spécialement d’Alger pour commettre son forfait, à la demande de Jacques Achard, l’ex sous-préfet des Ouadhias et dont on sait aujourd’hui que c’est lui qui a maintenu le nom de Feraoun sur la liste des hommes à abattre à Château royal le 15 mars 1962.
Le 10 janvier 1962, une semaine après le meurtre, la tombe est déjà profanée : les rubans sont arrachés et les bouquets de fleurs encore fraîches piétinés.
Cinquante ans plus tard, en 2012, inauguration d’une stèle à la mémoire de la victime. Eh bien, six années de suite, le monument est cassé.
Qui sont les premiers agresseurs de la mémoire des victimes de l’OAS ?
Ceux qui hier comme aujourd’hui approuvent les crimes de ces terroristes-là.
Deuxième exemple
À l’occasion du décès de l’un des six participants au massacre du 15 mars 1962, et qui fut pendant deux mandatures adjoint au maire de Cagnes-sur-Mer, l’hommage de cet individu est publié dans une revue subventionnée et on lit parmi ses mérites :
« …en mars 1962, il neutralisa six fonctionnaires dont Max Marchand, suppôt notoire du FLN…qui avec quelques autres indicateurs signalaient aux terroristes FLN les victimes européennes qu’il convenait d’éliminer ».
Six fonctionnaires de l’Éducation nationale sont ainsi ouvertement accusés de « complicité d’assassinat par fourniture de renseignements ».
Qui sont les agresseurs de la mémoire des victimes ?
Ceux qui hier comme aujourd’hui approuvent les crimes de l’OAS.
Parce que les descendants des six victimes défendent la mémoire diffamée de leur père lâchement assassiné, ils participeraient à un combat mémoriel.
Que les nostalgiques de l’OAS ne salissent pas la mémoire de leurs innocentes victimes et il n’y aura pas de conflit de mémoire !
Dernier exemple
Sur un site Internet d’anciens partisans de la colonisation, on a pu lire le texte suivant : « Monsieur GAVOURY fils, s’il était un homme d’honneur, ferait mieux de rester dans l’ombre et de laisser oublier qu’il est le fils d’un traître à la patrie. Il est patent et parfaitement établi que Monsieur GAVOURY était convaincu de complicité avec le FLN en accord naturellement avec le pouvoir de l’époque ».
Ces faits sont constitutifs du délit de diffamation publique dirigée contre la mémoire des morts, prévus et réprimés par la loi. Les prévenus ont d’ailleurs été finalement condamnés après avoir interjeté appel jusqu’à la Cour de Cassation.
Qui sont les agresseurs de la mémoire de victimes de l’OAS ?
Ceux qui, hier comme aujourd’hui, approuvent l’organisation terroriste et ses procédés terroristes.
On ne peut pas, surtout lorsqu’on prétend faire preuve d’objectivité, mettre sur le même plan le combat :
Mettre sur le même niveau de responsabilité les revanchards de la colonisation et les descendants des victimes de l’OAS :
Je vous remercie.
Jean-Philippe Ould Aoudia
Sur le site de la nouvelle stèle dédiée par la Ville d’Alençon à Alfred Locussol, ce sont six intervenants qui se sont succédés au micro, après un message introductif de M. François Tollot, conseiller municipal délégué, ancien adjoint au maire : M. Pierre Frénée, au titre du comité local du souvenir de ce serviteur de l’État ; M. Jean-François Gavoury, président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO) ; Mme Françoise Nordmann, au nom de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons » ; M. Jean-Jacques Oesinger, président de la section alençonnaise de la Ligue des droits de l’Homme ; M. Emmanuel Darcissac, maire d’Alençon ; M. Joaquim Pueyo, député de la 1ère circonscription de l’Orne.
Sont reproduits ci-après les termes du propos, respectivement, de Jean-François Gavoury et Françoise Nordmann ainsi que les articles de presse résumant la teneur des interventions des initiateurs locaux de cette manifestation du souvenir.
MOTS POUR ALFRED PIERRE LOCUSSOL
ET LES VICTIMES DU TERRORISME DE L’OAS
Mesdames et Messieurs qui représentez :
soyez remercié(e)s de votre participation à cette manifestation du souvenir, et sachez qu’en cet instant-même débute, au cimetière parisien du Père-Lachaise, un moment de recueillement devant la stèle au dévoilement de laquelle j’ai eu l’honneur de participer au côté de M. Bertrand Delanoë, maire de la capitale, il y a huit ans jour pour jour, heure pour heure !
Il est des pierres que l’on dit actives sur la mémoire : la fluorite, qui favoriserait la concentration en restaurant les connexions perdues ; la pyrite, qui solliciterait le travail intellectuel ; le sélénite, qui aiderait au contrôle de soi en toute circonstance et stimulerait la solidarité.
Au regard de telles propriétés, je crois – ou veux croire – qu’elles sont entrées dans la composition de la stèle autour de laquelle nous sommes réunis pour rendre hommage à Alfred Locussol : Alfred Pierre, devrais-je dire, sans pour autant forcer le trait du symbole.
Rendre hommage, c’est reconnaître qu’on a une dette morale à l’égard de la personne concernée.
Tel est particulièrement le cas avec cette victime trop longtemps oubliée d’une organisation dont certains Gouvernements ont traqué les tueurs avant de couvrir de décorations peu reluisantes leurs torses bombés et avant, aussi, d’ériger leurs années de clandestinité en plan d’épargne retraite !
Alfred Pierre Locussol, vous dont le nom évoque étymologiquement le « lieu unique », avez ici et à jamais, votre cénotaphe !
Et c’est bien un lieu unique que celui-ci puisqu’il est le seul en France à témoigner, sur le domaine public, de la reconnaissance due à une victime civile, nommément citée, de l’OAS.
Il existe certes, ici et là, y compris à l’intérieur d’administrations centrales à Paris ou sur le site d’autres institutions – par exemple, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or – des plaques commémoratives et monuments aux morts sur lesquels sont inscrits les noms de victimes du terrorisme de l’OAS, que leur acte de décès porte ou non la mention « Mort pour la France » à titre militaire.
Mais le chef-lieu de l’Orne, outre qu’il se singularise par sa stèle dédiée à un fonctionnaire désigné à la vindicte de l’OAS, se distingue par sa détermination à la faire renaître des cendres de la profanation.
Sa reconstruction, se doublant d’un déplacement de quelques mètres vers un site où le passé est honoré de héros de la Résistance prendrait presque dimension d’allégorie !
Il a payé de sa vie une conviction allant dans le sens de l’Histoire, celle du droit de l’Algérie à l’indépendance.
Il se confirme aujourd’hui que les pierres de mémoire sont des témoins et des jalons d’histoire : une mémoire exposée à la souillure dès lors que l’histoire l’est à la réécriture ; une mémoire que l’ANPROMEVO a statutairement vocation à protéger et à célébrer !
L’ambition dont l’association est porteuse consiste à faire de M. Locussol l’une des premières victimes civiles admises à la qualité de « Mort pour la France » : il en est digne, comme il mérite le souvenir et la considération des administrations de l’État qu’il a servies tant en Algérie qu’en métropole.
Vive Alençon, pour que vivent la mémoire d’Alfred Pierre Locussol et, à travers lui, celle de l’ensemble des victimes de l’OAS, en Algérie et en France : civils, militaires, magistrats, fonctionnaires, défenseurs des institutions et des valeurs de la République.
Et merci encore, à chacune et à chacun, d’avoir contribué, par sa présence, à l’enracinement de la date du 6 octobre dans le patrimoine mémoriel entretenu par les associations représentatives du monde combattant et des victimes de guerre.
Jean-François Gavoury
PAROLES POUR LA MÉMOIRE D’ALFRED LOCUSSOL
ET L’ALGÉRIE D’AUJOURD’HUI
Il me paraissait presque déplacé de prendre la parole en ce jour d’aboutissement du travail historique et militant mené essentiellement par les amis d’Alençon, actifs y compris au sein de la municipalité, et relayé dignement par les élus que vous êtes, messieurs et dames, qui honorez de votre présence l’inauguration de cette nouvelle stèle.
Mais je suis porteuse d’un message tout récemment recueilli à titre amical. Son émetteur, enseignant à la retraite, ancien conseiller pédagogique, et de toujours militant associatif, est une véritable mémoire de sa ville natale en Kabylie et plus généralement un fin connaisseur de la société et de la vie politique algériennes.
C’est aussi, bien sûr, un adhérent de l’association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons, de nationalité franco-algérienne. Il s’est dit heureux de m’autoriser à ce partage avec vous en ce moment particulier.
Vendredi 4 octobre 2019 – Les vendredis passent et se ressemblent. À travers le hirak – en français, le Soulèvement – l’Algérie gronde depuis le 22 février dernier. À la veille de la célébration de l’émeute du 5 octobre 1988, suivie d’une répression particulièrement meurtrière à Alger le 10 octobre, le hirak, porte-parole du peuple algérien, nous fait vivre des moments historiques qui resteront gravés dans les annales de l’histoire de l’Algérie. Or, le parcours militant d’Alfred Locussol est lié à la libération de l’Algérie, l’Algérie qui est son pays natal. Aller chaque année à Alençon, c’est toujours un acte militant contre l’oubli et pour la vérité historique. Alfred Locussol a été assassiné par l’OAS ; vous êtes fidèles à son humanité, à ses convictions démocratiques, à son aspiration à la justice sociale, lesquelles animent aujourd’hui les revendications du hirak algérien. Cinquante-sept ans après l’indépendance de l’Algérie, son combat continue.
Françoise Nordmann
En mémoire d’Alfred Locussol, première victime de l’OAS,
une stèle installée sur le parvis de la gare d’Alençon
Une stèle en mémoire et en hommage à Alfred Locussol a été inaugurée et installée sur le parvis de la gare d’Alençon, dimanche 6 octobre 2019.
Publié le 6 octobre 2019 à 13h38
Initialement installée quai Wilson à Alençon (Orne), là où il a été assassiné, la stèle en hommage à Alfred Locussol a finalement été refaite et déplacée sur le parvis de la gare d’Alençon dimanche 6 octobre 2019. L’ancien monument était victime de trop nombreuses dégradations. Comme l’explique François Tollot, conseiller municipal :
« La stèle était basse, elle a été vandalisée plusieurs fois et piquetée avec des coups de marteaux. On ne pouvait plus lire les inscriptions. »
Engagé auprès du parti communiste Algérien, Alfred Locussol est né en 1904 près d’Orleansville, il travaillait dans la fonction publique et militait au sein du Parti Communiste Algérien. C’est la première victime de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) en France, un assassinat commandité depuis l’Algérie. Partisan de l’indépendance de l’Algérie, c’est Alfred Locussol qui imprimait le journal clandestin Liberté enchaînée, à Alger et il a été nommé Directeur de l’Enregistrement à Alençon.
Un homme hors du commun
Pierre Frenee a réalisé de nombreuses recherches sur ce personnage pour mettre en valeur sa vie. Présent à cette inauguration il a rappelé quel homme d’envergure il était :
« L’image des hommes et des femmes dont les noms sont inscrits sur les monuments aux morts a naturellement tendance à s’estomper avec le temps. Pour Locussol c’est l’inverse : depuis 2012 où la stèle à son nom avait été érigée rue Wilson, des études historiques n’ont pas cessé d’agrandir les dimensions de cet homme hors du commun. »
Directeur de l’enregistrement
Désormais le monument sera plus haut, moins exposé, et dans un lieu plus symbolique puisque la place de la gare s’appelle la place de la Résistance. Emmanuel Darcissac, maire d’Alençon, poursuit :
« Régulièrement vandalisée, elle se devait d’être mieux protégée et mise en valeur. »
Désormais sur le parvis de la gare, tous espèrent que la stèle ne sera plus le théâtre de dégradations à venir. Car elle sera mieux visible en plein jour et des lumières de différentes couleurs permettent d’éclairer la gare la nuit.
Alençon
La stèle en hommage à Alfred Locussol
déplacée devant la gare
Elle rend hommage à celui qui fut assassiné par l’OAS en 1962 à Alençon.
Le 3 janvier 1962, Alfred-Pierre Locussol, fonctionnaire, est assassiné par l’OAS, au 27 de l’avenue Wilson, à Alençon. Ses meurtriers prennent la fuite par le train. Ils seront arrêtés au Mans. Il a été le premier fonctionnaire d’État assassiné par l’OAS sur le sol français.
La stèle, érigée en 2012 à la mémoire d’Alfred Locussol, et située avenue Wilson à Alençon, a été vandalisée à de nombreuses reprises.
Dimanche 6 octobre, une nouvelle stèle a été inaugurée sur le parvis de la gare, situé à quelques mètres du lieu de l’assassinat. « Ici, on est sur la place de la Résistance, explique François Tollot. Et puis la gare est illuminée la nuit… ». Ce qui devrait, l’espère-t-il, dissuader d’éventuels vandales.
« Il est émouvant de constater à quel point chaque nouvelle découverte augmente la stature du personnage de Locussol, dont la modestie et la discrétion avaient tenu les Alençonnais dans l’ignorance. Les commanditaires des assassins, eux, devaient savoir et leur haine s’est poursuivie jusqu’à vouloir effacer son nom inscrit dans la pierre. La restauration de cette stèle est la meilleure réponse qui puisse être apportée », a déclaré Pierre Frénée dans son discours, lui qui a mené de nombreuses recherches sur Alfred Locussol.
Le 7e anniversaire de la stèle que le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, a dévoilée, le 6 octobre 2011, en hommage à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France a été célébré hier, de 11h00 à 12h00 au cimetière du Père-Lachaise.
La cérémonie a réuni près d’une cinquantaine de personnes, à l’invitation conjointe de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS et de l’association « Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons ».
L’Ile-de-France n’était pas seule représentée : certains participants venaient des régions Centre-Val de Loire et Normandie et même d’Algérie.
Les présidents et membres des associations organisatrices étaient entourés des représentant(e)s de l’Association Germaine Tillion (en la personne de Mme Nelly Forget), du Comité Vérité et Justice pour Charonne (en la personne de son président, Henri Cukierman), de la FNACA de Paris (en les personnes de Jean Laurans, président départemental, ainsi que de Mme Anick Sicart et de M. Pierre Fassy, respectivement secrétaire générale et porte-drapeau du comité du 13e arrondissement).
Monsieur François Vauglin, maire du 11e arrondissement, avait bien voulu faire savoir combien il regrettait de ne pouvoir, en raison d’une contrainte d’agenda, assister à ce moment de commémoration.
À la suite d’un dépôt de quatre gerbes aux noms de la FNACA de Paris, du Comité Charonne, des Amis de Max Marchand et de l’ANPROMEVO, une minute de silence a été observée en souvenir et en l’honneur des victimes décédées et des victimes survivantes de l’OAS.
Dans le prolongement des interventions, reproduites ci-après, un dialogue s’est spontanément établi, sur place, à partir de l’émouvant témoignage de l’une des descendantes d’un enseignant, ami de Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS en avril 1962 : l’occasion de citer pêle-mêle les noms de Huguette Azavant, Mouloud Aounit et Michel Levallois que la stèle avait permis de réunir depuis son inauguration !
Des photos de cette manifestation sont également présentes ci-dessous : j’en remercie vivement l’auteur ainsi que l’ensemble de celles et de ceux qui, par leur présence ou leur soutien, ont contribué à la réussite de cette indispensable commémoration ; ma gratitude va également au conservateur et aux agents du cimetière du Père-Lachaise.
Jean-François Gavoury
Président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO)
Comme dans les actes, la parole de l’ANPROMEVO complète celle de l’association « Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons ».
Mon intention est de vous parler de Jouhaux.
Non point d’Edmond (Jouhaud), mais de Léon Jouhaux.
Pourquoi ce choix ?
Parce qu’il est né dans ce XVe arrondissement de Paris, où l’ANPROMEVO a eu son siège depuis sa création en 2006 jusqu’à 2014 ?
Parce qu’il a appartenu à la première génération de l’école obligatoire et que les associations « Marchand-Feraoun » et ANPROMEVO portent le souvenir de tant et plus de ces enseignants que la frénésie criminelle de l’OAS a pris pour cibles ?
Parce qu’il a été, de 1909 à 1947, secrétaire confédéral de la CGT, cette CGT à neuf militants de laquelle la police aux ordres du préfet Papon a infligé la mort le 8 février 1962, non loin d’ici, alors qu’ils manifestaient contre l’expansion du terrorisme de l’OAS aux cotés de dizaines de milliers d’opposants au fascisme ?
Parce qu’il s’est agi d’un homme de Paix, dont il a été prix Nobel en 1951 ?
Rien de cela ? Tout à la fois ?
En réalité, c’est la présence de la sépulture de Léon Jouhaux dans la 88e division du cimetière du Père-Lachaise qui me paraît donner du sens – symboliquement, s’entend – à cette stèle dévoilée il y sept ans par le maire de Paris !
En guise de transition avec un sujet lié à l’essence même de la démarche de l’association, je souhaite vous livrer une confidence : longtemps, j’ai réfuté l’hypothèse d’un traumatisme subi du fait de la disparition de mon père, première victime d’une OAS dans laquelle M. Bertrand Delanoë a su voir une organisation statutairement terroriste et ponctuellement barbare !
Aujourd’hui, à l’approche un peu laborieuse du statut de septuagénaire et surtout avec le recul de douze années passées à la tête de l’ANPROMEVO, je m’interroge :
– je le fais dans des termes qui m’ont été inspirés par une chanson à l’auteur et interprète de laquelle les honneurs posthumes ont été rendus hier à l’Hôtel national des Invalides : ai-je vraiment tardé à percevoir « le poignard de l’absence » ; ai-je été malade et suis-je « guéri de mes années d’enfance » ?
– je le fais également et surtout à la lumière du témoignage qui m’est parvenu, il y a peu, de plusieurs membres, ici présents pour la première fois, de la famille de Dahmane Yesli, ami et collègue de Mouloud Feraoun assassiné par l’OAS le 11 avril 1962 à l’âge de quarante-trois ans, et dont le permis d’inhumer porte la mention « victime de terrorisme ».
Ses descendants, qui restent très affectés plus d’un demi-siècle après ce drame, attendent de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS qu’elle attire à nouveau l’attention des pouvoirs publics sur la méconnaissance de leurs droits : il s’agit, en effet, des seules victimes de la guerre d’Algérie privées à la fois de la qualité de « mort pour la France » et de celle de « mort pour le service de la Nation ». Le Conseil d’État a exclu l’apposition de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès des victimes de l’OAS au prétexte spécieux que l’OAS n’aurait pas été partie belligérante au conflit ; quant à l’attribution de la mention « Mort pour le service de la Nation », elle a été prévue par une loi du 21 décembre 2012, dont la rétroactivité, en soi dérogatoire, ne s’est pas étendue en deçà du 1er janvier 2002 !
Il y a là une double injustice aussi criante que la négation des crimes de la colonisation ou le silence sur la torture érigée en système durant la guerre d’Algérie.
Pour en obtenir la réparation morale (et simplement morale tant l’aspect pécuniaire est absent des préoccupations de l’ANPROMEVO), j’appelle au sens des responsabilités les administrations en charge des victimes de guerre et je sollicite le soutien des associations du monde combattant.
Il y a soixante ans et un jour, était publié au Journal officiel le texte de la Constitution de la Ve République, celle au service de laquelle nombre de militaires, de fonctionnaires civils, de magistrats et d’élus sont tombés sous les coups de la sédition.
Vivent les institutions et valeurs de la République, et que se consume le souvenir de ceux qui en ont été les ennemis.
Le lundi 5 mars dernier, sur France Inter, à 8h35, le ministre de l’Education nationale déclarait :
« Je ne suis pas non plus un fanatique de la commémoration ».
Quelques jours plus tard, le 16 mars, il fait ce qu’il dit et décide de ne pas être représenté- et à travers sa fonction, le gouvernement- à la cérémonie d’hommage rendue depuis 16 ans devant la plaque commémorant l’assassinat de six fonctionnaires de l’Education nationale, le 15 mars 1962 à Alger, par l’OAS.
La parole et l’acte d’un ministre ayant en charge l’Enseignement des élèves de France ne sont pas anodins et incitent à se poser la question : faut-il commémorer ?
Nous sommes dans l’un des cimetières les plus célèbres et le plus visité au monde, où reposent un certain nombre de personnalités –tels Molière et Chopin- mais où s’élèvent aussi :
Qui sont les fanatiques : les terroristes qui les ont assassinés ou celles et ceux qui viennent rendre hommage à leurs innocentes victimes ?
1° La commémoration comme facteur d’unité nationale
Se souvenir ensemble, c’est rappeler avec solennité le souvenir de quelqu’un ou d’un événement important.
Cum memorare, c’est entretenir la mémoire d’un événement qui appartient à l’Histoire collective, afin de la conserver.
C’est participer à la construction de l’Histoire commune aux habitants d’une région, d’un pays, de l’Europe, voire du monde si on réfère aux deux guerres mondiales avec les dates du 11 novembre pour la Première et du 8 mai pour la Seconde.
C’est rappeler sans cesse l’élément constitutif de la mémoire nationale et donc de son identité.
C’est un lieu et un moment privilégié de rencontre entre l’histoire et la mémoire.
Parce qu’elle sert d’exemple et de modèle, la commémoration engage l’Etat. Lorsqu’elle devient un jour férié la nation tout entière participe, volens nolens, à ce cérémonial national.
« L’histoire est la mémoire du peuple » (Malcolm X)
« un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir (Aimé Césaire)
2° La commémoration comme un droit
Refuser de commémorer, c’est imposer le silence à la mémoire, silence qui conduit à l’oubli. Un événement marquant de l’histoire nationale deviendrait alors une page blanche.
Qui peut s’arroger le droit de refuser à une personne ou à une association le droit au souvenir pour lutter contre l’oubli ?
Si cette démarche mémorielle s’inscrit au cœur de l’homme, qui peut lui interdire d’accomplir ce qu’il considère comme son devoir de mémoire ?
Dans la démarche commémorative, rappeler le passé c’est partager des valeurs communes et les transmettre à travers des lieux de mémoire comme il y en a des centaines dans ce cimetière ; comme celui-ci, inauguré le 6 octobre 2011 par le maire de Paris, Bertrand Delanoë.
Comme celui du 101 rue de Grenelle à la mémoire de six fonctionnaires de l’Education nationale « victimes de leur engagement pour les valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France »
Ou à l’Ecole nationale de police de Saint Cyr au Mont D’or, dédiée « aux fonctionnaires de police tombés en opération, victimes du devoir, hors du territoire métropolitain ».
« Une nation qui ne sait pas regarder son passé ne sait pas regarder son avenir » (Alain Touraine).
3° Les dangers de la commémoration
Mais il y a danger à commémorer sans cesse, n’importe qui et n’importe quoi, une sorte de « commémorationite » qui ferait perdre sens et portée à la commémoration.
Dans le cadre de cette dérive mémorielle, on peut assister à un brouillage des valeurs fondatrices de la République, voir même à une inversion de la signification et des valeurs portées par un moment de l’histoire.
Un véritable détournement de la commémoration se met en œuvre qui consiste à célébrer des hommes, des idées ou des événements qui ne le méritent pas, ou qui sont même condamnables.
La commémoration se transforme alors en un moment d’apologie d’une idéologie criminelle, comme celle qui a pu conduire à commettre des actes barbares, pour reprendre les termes du discours du maire de Paris le 6 octobre 2011 pour qualifier le terrorisme de l’OAS.
Le devoir de mémoire comme fidélité aveugle à un passé controversé, expose à des abus de mémoire. On y cultive le ressentiment et le besoin de revanche.
Il est de notre devoir de lutter contre l’avilissement du souvenir qui transforme les bourreaux en victimes et les victimes en coupables.
Il appartient à l’Etat de condamner ces dérives mémorielles et d’empêcher leur cérémonial.
Ce qui n’est pas toujours le cas, tellement il est vrai que la mémoire et l’histoire entretiennent des rapports conflictuels avec le politique.
Pour reprendre ce qu’écrivait George Orwell en 1984 : « Qui contrôle le passé contrôle l’avenir. Qui contrôle le présent contrôle le passé ».
Restons fidèles aux valeurs et aux idéaux que nous partageons tous ici. N’écoutons pas ceux qui font profession d’oublier ce qui les gêne.
Notre présence ici, devant cette stèle, est rappel très fort à ce qu’il faut respecter, à ce qu’il faut honorer, à ce dont il faut se souvenir toujours, à ce qu’il ne faut oublier jamais. »
Découvrez le compte-rendu des activités de l’association en 2017 en cliquant ici
prononcés à Alençon le vendredi 5 janvier à 11 h 00 par Mme Annie Pollet au nom de Jean-François Gavoury
Une année débute, qui en rappelle d’autres : 1958 et 1968 en particulier !
1968, avec son mois de mai marqué, notamment en France, par sa révolte étudiante, ses mouvements sociaux et le vacillement des institutions jusqu’à la rencontre de Baden Baden au cours de laquelle le général de Gaulle reçoit du général Massu, commandant en chef des Forces françaises en Allemagne, l’assurance du soutien des armées face aux émeutes et barricades : des barricades qui en rappellent d’autres, meurtrières celles-ci, dressées par une partie des Français d’Algérie entendant manifester ainsi leur mécontentement après la mutation en métropole, le 19 janvier 1960, du général Massu, relevé de ses fonctions de commandant du corps d’armée d’Alger sur décision du président Charles de Gaulle.
1958, avec son mois de mai marqué, le 13, par le putsch d’Alger au cours duquel les partisans de l’Algérie française prennent d’assaut le siège du Gouvernement général et créent un Comité de salut public civil et militaire, avec à sa tête le général Jacques Massu, bénéficiant du soutien tacite du général Salan, chef des Forces françaises en Algérie. Ce coup d’État sera le point de départ d’une crise qui précipitera la fin de la IVe République et entrainera un processus qui aboutira, quelques mois plus tard, à l’instauration de la Ve.
Crise et déconstruction des institutions en 1958, crise et déconstruction des valeurs anciennes en 1968 : un même contexte insurrectionnel pour l’affirmation de deux utopies, celle d’une Algérie à jamais française et celle d’une société idéale.
La Ve République survivra tant aux « événements » d’Algérie qu’aux « événements » de mai 1968 : sans doute sa robustesse face aux épreuves les plus violentes lui vaudra-t-elle de voir son soixantième anniversaire officiellement célébré en octobre prochain.
***
Entre 1958 et 1968, un certain 3 janvier de l’année 1962, huitième année d’un conflit franco-algérien ayant viré à l’affrontement franco-français.
Au lendemain de cette date, le 4 janvier, à 19 h 15, qu’apprend-on sur l’antenne de Paris Inter dans le journal radiophonique Inter Actualités [1] ?
Jean Lefèvre :
« Hier, un fonctionnaire de l’enregistrement a été attaqué à Alençon. Maintenant on peut établir qu’il s’agit d’un attentat activiste. »
Francis Mercury ajoute :
« En tout cas, l’enquête est menée avec beaucoup de célérité par la police.
Voici ce que nous donne comme renseignements, à Alençon, notre correspondant :
Et le correspondant alençonnais de la radio nationale de préciser :
« Et d’abord, qui était cet homme dont les Alençonnais n’ont connu le nom qu’en lisant ce matin leur journal.
En effet, il est difficile de parler d’émotion à propos d’une personnalité discrète dont la vie publique était quasi inexistante.
Tout ce que l’on savait de lui, c’était qu’il partait régulièrement, pour de longs week-ends, dans la capitale où il aurait entretenu des relations avec les milieux nord-africains, relations qui lui avaient valu sa mutation d’office après une condamnation pour activité antinationale.
Pourtant, cet ancien membre du Parti communiste algérien ne s’était signalé d’aucune manière à Alençon, où ses collègues le considéraient comme un bon fonctionnaire, impeccable et consciencieux.
Les faits, on les connaît dans leur simplicité tragique et leur rapidité.
12h35 : M. Locussol, qui déjeune avec sa sœur, sort de son domicile pour répondre à un coup de sonnette. Deux coups de feu claquent. L’inspecteur de l’enregistrement tombe, ensanglanté.
14h06, une heure et demie plus tard : deux hommes, vêtus avec une certaine élégance, descendent de l’omnibus en gare du Mans.
Le commissaire de police d’Alençon, qui a recueilli dans l’intervalle un témoignage capital, téléphone à son collègue. On appréhende Robert Artaud, 23 ans, fils d’un publiciste parisien demeurant avenue Franklin Roosevelt : dans sa poche, un 22 long rifle de fabrication espagnole. Puis c’est la seconde arrestation, celle de Paul Stefani, 24 ans soudeur à Hassi-Messaoud, venu d’Alger par le « Ville de Marseille », Marseille où il avait débarqué le 23 décembre.
Artaud feint tout de suite l’ignorance, mais Stefani se trahit.
En mission spéciale, les deux jeunes gens ont, semble-t-il, descendu M. Locussol.
On devait apprendre dans la soirée, en effet, que Paul Stefani avait reçu d’un certain Willy[2] – un officier de l’entourage immédiat de Salan – l’ordre de se rendre à Alençon et 200.000 anciens francs afin d’abattre M. Locussol qui faisait partie, ajoute-t-on, d’une section anti-OAS. « Vous pouvez maintenant faire de nous ce que vous voudrez : nous avons exécuté un ordre ». Au Mans, le transfert de Stefani et de son camarade, un comparse apparemment, est imminent. Mais la police multiplie les investigations : on pense que les listes trouvées dans la poche d’un des agresseurs mèneront sur des pistes nouvelles. »
Jean Lefèvre réagit en ces termes :
« Vous voyez donc que cette affaire risque d’avoir de profonds retentissements, non seulement à Alençon, où l’affaire s’est produite, mais également en province et à Paris. »
Daniel Pouget confirme :
À Paris et dans toute la France, c’est évident
Il n’est pas exclu que cette affaire trouve d’importants prolongements à Paris et en province.
Ainsi, on apprenait cet après-midi qu’un officier, le capitaine de Régis, avait été interpellé et se trouvait actuellement en garde à vue, interrogé au siège de la brigade criminelle.
Il n’est pas exclu non plus que l’arrestation de ce capitaine soit en rapport avec l’affaire d’Alençon qui aurait aussi des prolongements dans le Sud-Ouest.
Artaud, pour sa part, nie avoir eu connaissance des raisons qui poussaient Paul Stefani à pénétrer chez M. Locussol.
Nous apprenons ce soir que Roger Artaud, exerçant la profession de publiciste et demeurant à Paris, 14 avenue Franklin Roosevelt, a été appréhendé ce soir par les policiers de la brigade criminelle. Amené au siège de la police judiciaire, quai des Orfèvres, M. Roger Artaud ainsi que le capitaine de Régis subissent actuellement un interrogatoire préliminaire. En effet, ils seront transférés demain matin place Beauvau pour y être entendus par les policiers de la sûreté nationale qui sont chargés de l’enquête.
Jean Lefèvre conclut :
« Une affaire par conséquent qu’il convient de suivre de très près et qui aura probablement des retentissements dans les heures qui viennent. »
***
Dans les heures, certes, mais également dans les décennies, puisque cinquante-six ans après, les porteurs de la mémoire d’Alfred Locussol sont réunis ici et s’expriment.
Ils s’expriment parce que faire acte de mémoire, c’est faire acte de parole.
Ils parlent parce que l’actualité d’hier, celle des faits, contribue à cette vérité de l’histoire dont des discours révisionnistes ultérieurs, encouragés par les lois d’amnistie et de réhabilitation, ont pour objet de falsifier voire nier la réalité.
Ils se rassemblent ici pour rappeler qu’Alençon a été le théâtre d’une exécution politique il y a cinquante-six ans.
Et ici, ils affirment que s’en prendre à la stèle honorant le souvenir d’Alfred Locussol ne permettra pas à ses assassins de se libérer de leur passé criminel.
Ils font acte de mémoire non pas tant pour obtenir repentance ou réparation de l’ancien État colonial que pour contrarier les tendances à l’amnésie collective et éviter la répétition de l’Histoire.
Telle me paraît être la double vocation de la mémoire en action.
Parce que j’en suis membre et surtout parce que leurs présidents respectifs m’y ont autorisé, j’associe « Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons » ainsi que le Comité Vérité et Justice pour Charonne à l’hommage rendu aujourd’hui à Alfred Locussol, et, à travers lui, à celles et ceux que l’activisme terroriste de l’OAS a tués ou blessés, mutilés et traumatisés à vie, en Algérie comme en France.
Heureuse année à celles et ceux qui soutiennent le combat des associations de victimes l’OAS. Et puisse 2018, dans le prolongement de 1958 et 1968, donner corps à une nouvelle utopie : celle d’un cessez-le-feu des mémoires !
Jean-François Gavoury
[1] [Source : http://www.ina.fr/audio/PHZ04015131 (de 4’13 à 8’25)]
[2] qui s’avèrera être Jacques Achard.
par Jean-François Gavoury, président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO).
Avant-propos
Le 5 octobre 2016, au nom de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO), j’ai formulé auprès de la Mairie de Paris une demande de subvention pour le financement d’une Journée d’études relative à un projet de partenariat mémoriel entre les villes de Paris et Alger. Le 10 janvier 2017, je recevais de M. Brahim Zeddour un courriel d’invitation à participer, au côté notamment de Jean-Philippe Ould Aoudia, à une Journée d’études sur l’OAS prévue le 28 février à Oran et placée sous la double égide du Ministère des Moudjahidine et du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC).
Les deux événements étaient sans lien, au point que le second n’a pas eu lieu cependant que la subvention sollicitée était obtenue en juillet 2017. Mais ils entraient en résonnance, comme s’il était écrit que le 55e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie devait marquer une étape décisive à la fois au regard de l’activité de l’ANPROMEVO et dans ma propre existence de fils de victime de l’OAS n’ayant posé qu’une fois le pied sur le sol algérien, le 3 juin 1961, à l’âge de 11 ans, pour assister, dans la cour de l’École de police d’Hussein Dey, aux obsèques du commissaire central d’Alger, mon père.
Lors de ce colloque, il était envisagé que j’intervienne sur le thème qui fait le titre du présent article.
***
De l’insoumission à la République …
Que ce soit à la veille ou au lendemain du putsch du 21 avril 1961, les cibles de l’OAS n’étaient pas le fait du hasard : étaient visés le siège des représentations gouvernementales, les infrastructures régaliennes ou d’intérêt stratégique, les élus, les services publics, les tenants de l’ordre social et républicain, bref, tout ce qui pourrait permettre à l’Algérie de vivre libre et indépendante, tout ce qui serait de nature à favoriser l’émergence d’une ère nouvelle de relations fraternelles entre les deux États et les deux peuples.
Ainsi, dans l’un des rapports de présentation au Président de la République du décret du 1er mai 1962 déférant l’ex-général Salan devant le Haut Tribunal militaire le 15 mars 1962, on lit :
« Pour se limiter à la ville d’Alger, sous le contrôle direct et immédiat de Salan, on peut mentionner des tirs au bazooka et au mortier sur le Palais d’Été, sur la place du Gouvernement, sur la caserne de gendarmerie des Tagarins, sur le quartier Belcourt et la casbah ; le mitraillage de la clinique Beaufraisier ; la destruction de la tour de contrôle de l’aéroport de la Maison-Blanche et l’attaque d’un véhicule transportant des militaires du contingent.
« De même, de nombreux assassinats furent commis par des membres de l’OAS sur des gardes mobiles, des éléments des Compagnies républicaines de sécurité, des fonctionnaires de police, en particulier les commissaires Gavoury, Goldenberg, Joubert, Pélissier, sur des officiers tels que les commandants Poste, Grain et Bourgogne, sur des personnalités, notamment Me Popie, avocat à Alger et son successeur Me Garrigues, Me Frayssineaud, M. Abdessalam, directeur général de l’administration civile des finances à Alger, sur des médecins et des commerçants. »
Lors du procès, les 11, 12 et 13 avril 1962, du général Jouhaud, qui avait assumé le commandement de la zone III (Oranie) de l’OAS durant les sept mois précédant son arrestation le 25 mars 1962, le président du Haut Tribunal militaire s’adresse en ces termes à l’accusé :
« Il y a eu un nombre considérable de menaces. Il faut reconnaître que l’OAS a usé de la menace dans toute la mesure du possible : menaces contre le chef de l’État, contre le gouvernement, contre ses représentants locaux – préfet, préfet régional, inspecteur général de l’administration, préfet de police – contre les fonctionnaires, contre les commissaires de police, contre l’armée et nous avons vu que vous êtes passés à l’exécution contre les élus – car évidemment les élus algériens ont été aussi menacés -, contre la presse, contre ceux qui voulaient partir et aussi contre ceux qui voulaient rester. Il n’y a pas de catégorie qui n’ait été l’objet de menaces particulières de votre part, et ce qui est le plus abominable encore, c’est que ces menaces ne s’adressaient pas à des hommes, à des individus considérés à tort ou à raison comme des ennemis, mais à leurs proches, à leur famille, à leur affection. »
Et le général Jouhaud de répondre :
« Il est exact, effectivement, que nous avons prononcé un certain nombre de menaces à l’égard d’un certain nombre de corps constitués parce que nous étions des révoltés : nous ne pouvions pas admettre et nous n’admettrons jamais que l’Algérie, demain, cesse de faire partie de la France. »
Plus tard, dans son réquisitoire, l’avocat général s’exprimera en ces termes :
« La déclaration initiale du directoire insurrectionnel faite dans la forme d’une proclamation du Haut commandement en Algérie et au Sahara le 22 avril 1961 sous la signature de Challe, Jouhaud, Salan et Zeller donne la mesure de la menace grave qui a alors pesé sur les institutions de la République : « … le commandement ne préjuge pas les mesures propres à reconstituer dans l’ensemble de la France l’ordre constitutionnel gravement compromis par un pouvoir dont l’illégitimité éclate aux yeux de la Nation. »
« Il était prévu une insurrection en métropole, laquelle insurrection devait être appuyée par toutes sortes de massacres, de plasticages, d’attentats, de meurtres et d’exactions. Alors donc c’est bien la preuve que ce complot avait nettement pour but le renversement du régime et des institutions républicaines. »
Le même représentant de l’accusation citera l’extrait d’un tract n° T 563 diffusé à partir du 25 janvier 1962 : « C’est eux, les hauts fonctionnaires, que l’OAS rendra responsables dans leur personne, leurs biens et leurs affections. L’OAS ne reculera devant rien. »
Il poursuit :
« Jouhaud n’allait pas déposer les bombes et les plastics meurtriers, ni tirer le mortier qui arrosait d’obus tout un quartier d’Oran, ni aussi les avions qui allaient bombarder Oujda en territoire marocain, ni abattre à coups de pistolet les malheureux fonctionnaires, officiers, magistrats qui accomplissaient avec courage et dévouement les missions que leur confiait le Gouvernement légal de la République, ni mitrailler d’inoffensifs passants, bien sûr, mais combien plus coupable à mon sens est celui qui, en tant que chef d’une organisation séditieuse, ordonne, couvre et ne désavoue pas de tels forfaits. […]
« On croit rêver quand on voit que de pareilles horreurs sont voulues et acceptées par des hommes qui se prétendent les défenseurs de la civilisation chrétienne et ont l’audace d’appeler la bénédiction de Dieu sur les incitateurs et les exécutants de ces crimes monstrueux.
C’est ainsi qu’après le cessez-le-feu, entré en vigueur le 19 mars 1962, Salan termine par ces mots une allocution tendant à l’intensification de la lutte et transmise par l’OAS-III sous le numéro T 585 : « La résistance demande des efforts et des souffrances, mais nous savons aussi qu’elle nous conduit au bon port. Que Dieu protège notre combat. »
Et l’un des deux défenseurs du général Jouhaud d’affirmer au cours de sa plaidoirie :
« Ce sur quoi ne nous sommes pas d’accord, Monsieur l’Avocat général, c’est lorsque vous entreprenez de faire croire au tribunal qu’il a voulu renverser les institutions républicaines. Là, vraiment, je ne vois pas ce qui, dans le dossier, peut autoriser un pareil soupçon, … [lui pour qui] l’idée d’une France qui ne serait pas républicaine est aussi absurde que l’idée d’une Algérie qui ne serait plus française. Il n’y a rien dans le dossier à cet égard, rien ; c’est absurde. »
Si j’ai mis l’accent sur certains échanges intervenus dans le procès du putschiste Jouhaud, ce n’est pas seulement parce qu’Oran était le siège de ses activités criminelles. C’est surtout parce qu’ils révèlent la fourberie du discours d’une organisation terroriste qui va progressivement s’installer dans le déni.
La vérité, c’était que le premier des trente-sept points du manifeste-programme de l’OAS distribué des deux côtés de la Méditerranée et reproduit dans L’Express du 15 juin 1961, s’intitulait « CINQUIÈME RÉPUBLIQUE : proclamation solennelle de la déchéance de la Ve République, de ses principes et des hommes qui en sont maîtres et profiteurs. »
L’on voit, dès le printemps 1962, se dessiner les prémisses d’une réécriture de l’histoire de l’OAS par ses propres dirigeants. Il est vrai que le général Salan lui-même en donnait une définition bien singulière en septembre 1961 : « L’armée secrète n’est pas une faction politique, c’est une véritable armée visant à mobiliser les Français sur le terrain essentiel de la défense des libertés fondamentales, de la justice sociale et du territoire national. ». Le chef suprême de l’organisation précisait même : « L’OAS ne sera jamais une équipe gouvernementale. Il y a une Constitution, il y a surtout des assemblées et un peuple de France. »
Les milliers de témoins et victimes survivantes des actes criminels perpétrés par l’OAS en Algérie et en France ont sans doute vu dans le rôle de ce mouvement une autre dimension que simplement tribunitienne ! Tous les documents attestent de son mépris à l’égard des institutions et de son dessein consistant à abattre la République.
***
… à la soumission puis au sursaut de la République
L’OAS de 1961-1962 est parvenue à faire vaciller la République sur ses fondements démocratiques.
Cependant, sous l’effet d’une succession de lois d’amnistie[1] et de mesures de grâce collectives intervenues de 1964 à 1982, les anciens activistes de l’OAS, forts de leur virginité pénale retrouvée, ont eu toute latitude pour poursuivre leur mission d’asservissement de la République : non plus par la violence physique cette fois, mais par l’intimidation psychologique, le lobbying, le chantage électoral, formes plus subtiles d’un terrorisme qui infiltre et finit par subjuguer la classe politique jusqu’à la faire sombrer dans le révisionnisme.
Les premiers résultats ont pris la forme :
1°) d’un Mémorial de l’Empire colonial, dévoilé le 14 février 1971 dans l’enceinte du cimetière Lagoubran à Toulon, en présence de Jacques Soustelle, ancien gouverneur général de l’Algérie et co-fondateur en 1962 du Conseil national de la résistance, et du général Jouhaud ;
2°) d’une stèle dédiée le 25 février 1973 à Roger Degueldre, symbole de l’Algérie française à l’intérieur du square Alsace-Lorraine à Nice ;
3°) d’un vaste monument (deux mètres de haut sur six de large) aux « martyrs de l’Algérie Française », à nouveau à Toulon, au pied des remparts de la vieille ville, inauguré le 14 juin 1980 par Jacques Dominati, secrétaire d’État aux Rapatriés, en présence des grandes figures de l’OAS, au premier rang desquelles le putschiste Edmond Jouhaud ;
4°) du Mémorial Notre Dame d’Afrique, situé sur un promontoire de Théoule-sur-Mer, composé d’une sculpture monumentale haute de douze mètres sur le mur d’enceinte de laquelle sont apposées plus d’une centaine de plaques commémoratives au nom de chacun des membres de l’OAS tombés pour la défense de L’ALGÉRIE FRANÇAISE (la première pierre de ce mausolée fut posée le 27 mai 1990 par Joseph Ortiz, activiste de l’Algérie française, l’un des principaux artisans de la « Semaine des Barricades » en janvier 1960 qui fit quatorze morts et plusieurs dizaines de blessés parmi les gendarmes mobiles chargés de rétablir l’ordre).
Ces initiatives locales, dont les projets ont été conçus par d’anciens ultras de l’Algérie française et appuyés par des maires plus ou moins sincèrement acquis à leur cause, l’État en a cautionné la réalisation alors même qu’il lui appartenait de les empêcher en exerçant les voies de droit à sa disposition. Non seulement il ne l’a pas fait, mais, comme on vient de le rappeler à propos de Toulon, le Gouvernement est allé jusqu’à dépêcher l’un de ses membres à la manifestation inaugurale afin d’y prononcer une allocution : une allocution (en l’occurrence) troublée par les participants qui scandaient des slogans tels que « Amnistie » et « Réhabilitation » !
Ainsi s’exprimait le jusqu’au-boutisme des nostalgiques de l’époque coloniale.
La glorification formelle de l’OAS, littéralement gravée dans la pierre des cénotaphes et monuments érigés sur le domaine public, ne les contentait pas. Les premières lois d’amnistie ne leur suffisaient pas. La réhabilitation était leur objectif : non pas une réhabilitation de façade, mais le rétablissement par la loi dans les droits et prérogatives dont on a été déchu du fait d’une condamnation pénale.
Certes, durant cette double décennie 1970-1990, rien ne justifiait que la question de l’Algérie française constituât l’enjeu d’une élection présidentielle. Et pourtant, tel fut le cas lors des campagnes de 1974 et 1981.
Les revendications des anciens activistes ne seront pas satisfaites sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing : l’article 18 de la loi du 16 juillet 1974 portant amnistie exclut en effet leur réintégration de plein droit dans les emplois et dans les ordres nationaux (Légion d’honneur, Libération, Mérite), et le Premier ministre Raymond Barre invoquera, pour ne pas aller plus loin dans la concession au lobby pied-noir, un contexte politique inapproprié et les nécessités de la rigueur budgétaire : attitude méritoire sachant que des parlementaires de l’opposition socialiste avaient cru devoir proposer des amendements réclamant une amnistie plus large !
Déjà, le député-maire de Marseille Gaston Defferre, peu suspect de sympathie à l’égard de l’OAS, avait, obéissant en cela à des mobiles inavoués, déposé un amendement lors de la première séance de discussion, le 23 juillet 1968, du projet de la future loi d’amnistie du 31 juillet 1968 : suggérant de « rétablir dans leurs titres, grades et fonctions tous ceux qui ont été impliqués par les événements d’Algérie », l’amendement en question fut repoussé par 21 voix contre 1 en commission des lois et rejeté par l’Assemblée à raison de 288 voix sur 385 suffrages exprimés.
Quant à lui, François Mitterrand s’emploiera, dès le début de son premier septennat, à la mise en œuvre coûte que coûte de sa promesse de campagne formulée le 4 avril 1981 à Avignon, visant à un parachèvement du dispositif d’amnistie propre à effacer l’ensemble des séquelles, même de carrière, des événements d’Algérie. Acquise au forceps de l’article 49-3 de la Constitution, la peu glorieuse loi du 3 décembre 1982 relative au règlement de certaines situations résultant des événements d’Afrique du Nord bénéficiera à quelque 800 policiers, 400 administrateurs civils et 800 officiers renvoyés entre 1961 et 1963 de la fonction publique de l’État, civile et militaire.
Ainsi, huit généraux putschistes – dont Edmond Jouhaud – seront-ils réintégrés dans le cadre de réserve.
Le 13 février 2006, en préface du livre La bataille de Marignane, que Jean-Philippe Ould Aoudia et moi avons « co-produit », l’ancien ministre Pierre Joxe écrivait : « Quelles que soient à présent les conséquences juridiques des lois d’amnistie, ces crimes-là sont aussi ineffaçables que l’honneur des serviteurs de l’État dont ils ont provoqué la mort et auxquels il est juste de rendre hommage. »
Dans le même ordre d’idées, Bertrand Delanoë, maire de Paris, dans son allocution précédant le dévoilement de la première stèle dédiée par une institution publique à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France, déclare le 6 octobre 2011 :
« La vérité, c’est que, dans les pages de notre histoire, il y a des drames, il y a des douleurs inouïes, et ces douleurs inouïes, elles ne viennent pas de nulle part : elles viennent d’idées, elles viennent de pensées qui se traduisent par des actes barbares.
« L’OAS, c’est une organisation terroriste, c’est une organisation criminelle, c’est une organisation qui a voulu détruire la République. Les victimes que nous honorons aujourd’hui sont des femmes, des hommes, des enfants, des policiers, des militaires, des Français, des Algériens, des femmes et des hommes morts parce qu’une organisation a contesté l’ordre démocratique, a voulu l’abattre et a utilisé les moyens les plus horribles pour tenter d’atteindre ses objectifs.
« Pourquoi est-il si long, pourquoi est-il si dur de poser ces actes évidents ?
« Je le dis avec émotion, gravité : je suis en même temps fier que Paris soit la première commune, la première institution française, à oser le faire, mais avec le regret que cela n’ait pas été fait plus tôt.
« Aujourd’hui, nous arrivons à mobiliser contre le terrorisme, contre les idéologies barbares, et ce qui s’est passé il y a quelques décennies semble nous coûter plus.
« Non !
« Paris, aujourd’hui, capitale de la France, Paris capitale de la République, Paris héritière de valeurs universelles, de valeurs de libertés, des droits de l’homme, Paris aujourd’hui relève la tête en disant que l’OAS était une organisation idéologiquement criminelle et, dans ses actes, barbare.
Cimetière parisien du Père Lachaise – 6 octobre 2011
Inspiré par le propos du Maire de Paris, j’ai écrit, au lendemain de cette inauguration :
« Quelle épreuve d’avoir dû supporter que, depuis 1973 à Nice jusqu’en 2005 à Marignane, on statufie et piédestalise les singes sanglants de l’OAS et leurs maîtres à penser : le poignard, le pistolet et le plastic !
« Quelle douleur d’avoir dû accepter que l’on cherche ainsi à réhabiliter l’uniforme du déserteur et à insinuer le poison du révisionnisme dans les blessures ouvertes par la guerre d’Algérie !
« Comment, nous, victimes du fanatisme factieux, avons-nous pu admettre cette peine s’ajoutant à la peine ?
« Accepter de voir l’homme au service de la terreur érigé, sur le domaine public, en héros d’une cause pourtant reconnue scélérate, c’est, pour le responsable politique, défier l’ordre et l’entendement républicains, c’est braver les valeurs fondatrices de la communauté nationale en portant atteinte en particulier à la fraternité.
« Faire passer l’homme-terreur à la postérité, c’est conférer à ses crimes passés valeur d’exemple pour les générations futures, c’est abaisser les victimes et éprouver leur mémoire endolorie.
Je précise aujourd’hui : c’est ajouter l’anti-mémoire à l’anti-histoire.
A contrario, célébrer le souvenir des victimes de l’OAS, c’est délégitimer le terrorisme : la Ville de Paris l’a compris et le manifeste officiellement depuis cinq ans lors de chaque commémoration en lien avec la guerre d’Algérie, entraînant dans son sillage préfet de région, préfet de police et même, à titre exceptionnel, secrétaire d’État en charge de la mémoire et du monde combattant.
***
Mon père, Roger Gavoury, a été la première victime causée par l’OAS au sein de la fonction publique de l’État : c’était à Alger, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1961.
Qu’il me soit permis de rendre hommage à la mémoire du dernier commissaire de police victime de cette organisation, M. Marc Jorandon : c’était à Oran, le 14 mars 1962.
14 mars 1962, soit vingt-quatre heures avant l’assassinat collectif, sur leur lieu de travail, à Alger, et dans l’exercice de leurs fonctions, de six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs, à qui le statut de Mort pour la France n’a pas été conféré, mais dont le Gouvernement a reconnu la qualité de « victimes de leur engagement pour les valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France ».
Dix ans après la fin de la guerre d’Algérie, Lucien Bitterlin, disparu le samedi 11 février 2017, rencontrait, pour les besoins d’une émission de télévision intitulée « Plein cadre », un responsable FLN de la zone d’Alger et un officier d’active originaire d’Algérie ayant rejoint les rangs de l’OAS : il appelait alors à « la décolonisation des esprits, au dépassement du passé et à la coopération ».
Je complète aujourd’hui cet exposé en soulignant que la lenteur du cheminement montre combien cet objectif relevait du défi : la journée d’études oranaise du 28 février 2017 en était un, et elle n’a pas eu lieu !
Que vivent la coopération et la fraternité des mémoires de la guerre d’Algérie !
[1] « L’amnistie est une fiction en vertu de laquelle le législateur tient pour inexistant non pas les faits qui se sont accomplis, mais leur caractère délictuel » (Jean-André Roux, cours de droit criminel français, visé au jurisclasseur pénal).
À l’occasion de sa création, l’ENHMGA organise un colloque ayant pour thème “Guerre d’Algérie : des histoires, des mémoires” le 20 décembre 2017 de 9h à 18h à l’Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris.
MATIN
8h30
Accueil autour d’un petit-déjeuner
9h00
Accueil par Serge DROUOT, Président de l’ENHMGA
Post–mémoire de la guerre d’Algérie dans la France contemporaine
par Tramor QUÉMENEUR, Enseignant, chercheur
Historien français, spécialiste de la guerre d’Algérie. Né en 1973, Tramor Quemeneur est chercheur postdoctorant à l’université de Coimbra (programme ERC MEMOIRS). Sa thèse de doctorat, soutenue en 2007, était intitulée Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie, une première recherche fouillée sur les quelque 15.000 jeunes Français ont été insoumis, déserteurs ou objecteurs de conscience pendant la guerre d’Algérie. Il a dirigé le manuel 100 fiches d’histoire du XXe siècle (Bréal, 2004 et 2009) et a participé à plusieurs ouvrages collectifs, notamment La Justice en Algérie. 1830-1962 (La Documentation française, 2005), La Guerre d’Algérie : 1954-2004, la fin de l’amnésie (Robert Laffont, 2004), Hommes et femmes en guerre d’Algérie (Autrement, 2003) et Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie (Complexe, 2001). Aux éditions des Arènes, il a publié, avec Benjamin Stora, Algérie 1954-1962 et en 2011 avec Slimane Zeghidour L’Algérie en couleurs : 1954-1962, photographies d’appelés pendant la guerre.
De « l’Algérie de papa » à la guerre d’Algérie : les enjeux d’un enseignement sous surveillance (XXe-XXIe)
par Claude BASUYAU
Professeur agrégé d’histoire et géographie. Enseignant à la retraite, créateur et animateur du Club Histoire du lycée Buffon.
Les mémoires blessées de la guerre d’Algérie
par Benjamin STORA
Historien, professeur des universités, spécialiste du Maghreb contemporain
https://benjaminstora.univ-paris13.fr/
L’OAS contre les institutions de la République
par Jean-Philippe OULD AOUDIA
Président de l’association « Les Amis de Max Marchand et Mouloud Feraoun
OUVRAGES PARUS
■ 2015 : Deux fers au feu. De Gaulle et l’Algérie : 1961, suivi de Un crime d’État : Paris, 23 mai 1959, Jean-Philippe Ould Aoudia. Éditions Tirésias, 160 pages, 16 €, (ISBN 2-915293-88-0)
■ 2006 : La bataille de Marignane, 6 juillet 2005: la République, aujourd’hui, face à l’OAS. Jean-Philippe Ould Aoudia. Éditions Tirésias.
■ 2001 : Un élu dans la guerre d’Algérie. Jean-Philippe Ould Aoudia. Éditions Tirésias.
■ 1996 : Un enlèvement en Kabylie. Jean-Philippe Ould Aoudia. Éditions Tirésias.
■ 1994 : Autopsie d’un assassinat. Jean-Philippe Ould Aoudia ; préface d’Emmanuel Robles. Alger : ENAP/ENAL.
■ 1992 : L’assassinat de Château-Royal. Jean-Philippe Ould Aoudia ; Pierre Vidal-Naquet. Éditions Tirésias.
(Source : wikipedia)
12h45 – Buffet
APRÈS-MIDI
14h00
Les prisonniers français du FLN : une histoire oubliée
Par Raphaëlle BRANCHE
Historienne, professeure à l’université de Rouen
http://raphaellebranche.fr/
La mémoire combattante de la guerre d’Algérie – 55 ans de batailles
par Serge BARCELLINI
Président-général du Souvenir Français
Avoir 20 ans mourir à la guerre
par Jean RAYMOND
Commission nationale « Mémoire-Histoire » de la FNACA
Regard sur une génération sacrifiée
par Jean-Pierre MARCHAND
Commission nationale « Mémoire-Histoire » de la FNACA
CLÔTURE
Présentation de la pièce de théâtre Colonies
par la troupe « Les Butineurs » de Marie MAUCORPS
Création collective
Faire entendre un peu de ce qu’a été la guerre d’Algérie. La faire entendre à travers ce que nous sommes, deux générations plus tard. Ce spectacle s’est construit à partir d’archives, de témoignages et d’improvisations collectives. Il nous plonge dans une Algérie coloniale finissante, dans les prémices d’un nouvel État à venir, dans cette guerre sans nom dont les échos nous parviennent encore aujourd’hui.
Durée 1H45
MODÉRATEUR
Gérard CAPECCHI – Secrétaire de l’ENHMGA, doctorant en Histoire contemporaine
Chaque intervention sera ponctuée par des échanges avec l’auditoire
INSCRIPTION
Entrée libre, réservation obligatoire dans la limite des places disponibles.
Carte d’identité nationale exigée sur place.
Pour vous inscrire, il vous suffit d’envoyer avant le 10 décembre votre demande par mail à contact@enhmga.com
(indiquez simplement votre nom, le nombre de places désirées et si vous souhaitez venir le matin, l’après-midi ou toute la journée).
ADRESSE
Auditorium de l’Hôtel de Ville 4 rue Lobau 75004 Paris
COMMENT VENIR ?
Métro : lignes 1 et 11, station « Hôtel de Ville »
Bus : n° 58, 69, 70, 72, 74
RER : A, B, C, D, station « Châtelet-les-Halles »
Le 6 octobre 2011, le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, dévoilait, au cimetière du Père-Lachaise, une stèle dédiée à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France.
Cet hommage s’inscrivait dans l’action de mémoire collective menée depuis 2001 par la Ville de Paris autour de la guerre d’Algérie et des conflits coloniaux en Afrique du Nord, avec, notamment, l’édification dans ce même cimetière du Père-Lachaise d’un mémorial célébrant le souvenir des 750 Parisiens morts pour la France en AFN, les plaques honorant les victimes des répressions du 17 octobre 1961 sur le pont Saint-Michel et du 8 février 1962 au Métro Charonne (sans compter le monument inauguré le 11 novembre 1996, dans le parc de la Butte du Chapeau Rouge, près du boulevard d’Algérie, à la mémoire des Harkis, de leurs familles et des victimes civiles de la guerre d’Algérie).
Depuis lors, à Paris comme en province – Alençon (Orne) en 2012, Le Touvet (Isère) en 2014 -, chaque journée du 6 octobre est l’occasion d’une cérémonie destinée à commémorer cet événement qui a marqué l’histoire des victimes de la guerre d’Algérie : en effet, celles de l’OAS avaient été, jusqu’alors, les seules collectivement privées de la considération qui leur était due par les pouvoirs publics, au premier rang desquels l’État lui-même.
De manière à renforcer l’ancrage de la date du 6 octobre dans le calendrier des manifestations d’associations d’anciens combattants et victimes de guerre, les membres d’honneur et adhérents de Paris et d’Île-de-France de l’ANPROMEVO ainsi que les correspondants et amis de l’association étaient invités à se réunir au cimetière du Père-Lachaise le vendredi 6 octobre 2017 à 11 h 00.
Avant le dépôt des gerbes de l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons, du Comité Vérité et Justice pour Charonne et de l’ANPROMEVO, plusieurs prises de parole ont eu lieu : celles de Jean-Philippe Ould Aoudia et de Michel Lambart – dont la teneur est reproduite ci-après – et celle aussi de Henri Cukiermann, qui s’est attaché à souligner ce qui distingue, au sens mélioratif du terme, et ce qui unit les victimes de l’OAS et celles du 8 février 1962 à Charonne.
À l’issue de la minute de silence, Jean-François Gavoury a adressé ses remerciements à la quarantaine de participants, se félicitant de la représentation, pour la deuxième année consécutive, de l’Office national des Anciens combattants, dans laquelle il a vu le signe d’une orientation positive. Il a également tenu à exprimer sa sympathie à l’égard de Mme Huguette Azavant et de M. Michel Levallois, que leur état de santé a privé de la possibilité de prendre part à cet événement, attirant l’attention sur l’importance de la lutte pour la vie au regard de la continuité du combat pour la mémoire des morts.
Outre la présence des personnes dont le nom – ou la qualité – est cité dans les interventions de MM. Ould Aoudia et Lambart (cf. infra), à noter celle, au titre de la Ligue des droits de l’Homme, de M. Gilles Manceron, fidèle à ce rendez-vous parisien du 6 octobre, et celle aussi de l’un des membres de l’association4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre).
Parmi les personnalités empêchées et excusées, Mme Delphine Renard ainsi que MM. Robert Créange, Pierre Daum, Daniel Kupferstein, Jean-Pierre Louvel, Georges Morin et Alain Ruscio.
Merci, Mesdames et Messieurs, mes chers amis, d’avoir bien voulu répondre à l’invitation de l’ANPROMEVO et de l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons pour témoigner, en ce haut-lieu du souvenir, votre attachement aux principes et aux valeurs qu’incarnaient celles et ceux que nous honorons.
Je remercie particulièrement :
– Monsieur André Rakoto, directeur de l’ONAC de Paris, représentant Mme Rose-Marie Antoine, directrice générale de l’Office national des Anciens combattants et Victimes de guerre ;
– Monsieur Henri Cukiermann, président du Comité Vérité et Justice pour Charonne ;
– Monsieur Serge Drouot, président national de la commission Mémoire-Histoire de la FNACA ;
– Monsieur Jean Laurans, président départemental de la FNACA de Paris ;
– Monsieur le porte-drapeau national de la FNACA ;
– Monsieur le porte-drapeau de la FNACA de Paris-13e.
Le 6 octobre 2011, le maire de Paris M. Bertrand Delanoë, exprimait ici sa fierté que Paris, capitale de la France, soit la première commune, la première institution française, à honorer le souvenir de l’ensemble des victimes du terrorisme de l’OAS, en Algérie et en France, en élevant un mémorial devant lequel nous nous trouvons réunis en ce sixième anniversaire.
Notre présence renouvelée est un hommage citoyen et un hommage républicain, désormais inscrits dans le calendrier mémoriel par référence à l’inauguration de cette stèle par le maire de Paris.
C’est un lieu d’histoire, pour dire quelles sont les victimes et quelles sont les forces du Mal, toujours à l’œuvre et qu’il faut perpétuellement combattre.
Cette stèle participe à l’écriture d’une mémoire collective face à la promotion dont sont l’objet la colonisation et ses jusqu’au-boutistes de l’Algérie française.
Ce monument est une incitation, pour les jeunes générations, à l’apprentissage de la guerre d’Algérie à travers la page franco-française du conflit, la plus douloureuse et la plus sombre.
De guerre, il n’en est pas de juste, mais la guerre civile, c’est l’horreur ajoutée à la fureur.
Notre présence exprime aussi la volonté de nous opposer à la réhabilitation d’un syndicat du crime, l’OAS, qualifiée par le maire de Paris d’idéologiquement criminelle et barbare dans ses actes.
Barbare dans ses actes.
Le passé français en Algérie demeure toujours présent en France. Le 14 février 2017, le candidat à la présidence de la République Emmanuel Macron déclarait : « La colonisation c’est un crime. C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face… »
Notre présence, chaque 6 octobre, doit être un moment d’amitié entre l’Algérie et la France, en mettant à l’honneur des hommes et des femmes qui ont été soumis, sur les deux rives de la Méditerranée, à la violence de terroristes pour qui la vie humaine était sans valeur.
Au nom de l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons, une gerbe sera déposée au pied de la stèle, suivie d’une minute de silence.
Mesdames, Messieurs, chers amis, je vous remercie.
Monsieur le sénateur de Paris Pierre Laurent, qu’une superbe gerbe représente ici ;
Monsieur le directeur départemental, représentant la directrice générale de l’Office national des Anciens combattants et Victimes de guerre ;
Mesdames, Messieurs les Présidents d’associations amies, présents, représentés ou excusés :
– Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons,
– Fédération nationale des Anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (FNACA),
– Association républicaine des Anciens combattants,
– Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes,
– Comité Vérité et Justice pour Charonne,
– Coup de Soleil,
– Ligue des droits de l’Homme,
– Espace parisien Histoire et Mémoire Guerre d’Algérie,
– Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples ;
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Le Président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS, notre très cher Jean-François Gavoury, risquant de se trouver dans l’impossibilité de participer à la commémoration de ce jour mais heureusement présent parmi nous, m’a chargé de porter la parole de l’ANPROMEVO.
Le jeudi 6 octobre 2011, il y a six années aujourd’hui, à la même heure, Bertrand Delanoë, maire de Paris, répondait à notre volonté et dévoilait cette stèle :
Pour la première fois, depuis bientôt cinquante ans, l’origine des criminels éclatait au grand jour.
Dix ans auparavant, le 12 décembre 2001, la plaque commémorative à la mémoire des six Inspecteurs de l’Éducation nationale dans les Centres sociaux éducatifs créés par Germaine Tillion, assassinés par l’OAS à Alger le 15 mars 1962 – Marcel Basset, Robert Eymard, Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène, Max Marchand, Salah Ould Aoudia – inaugurée par le ministre de l’Éducation nationale Jack Lang, demeurait muette.
Le président de l’association qui porte leurs noms, Jean-Philippe Ould Aoudia, écrivait dans Le Lien, le 11 novembre 2011 : « Je fus contraint d’accepter que le nom des assassins soit tu ».
Le 6 octobre 2011, Jean-François Gavoury déclarait : « Oui, le 6 octobre 2011 marquera une étape déterminante vers la reconnaissance par la Nation des souffrances endurées par les victimes de l’OAS. Rien n’aurait été possible sans l’écoute de la ville capitale dont il convient de saluer, avec respect et gratitude, le Maire et son adjointe en charge de la mémoire ainsi que l’ensemble des élus et des services. »
Nous constatons, hélas, que les auteurs des actes barbares de l’OAS et leurs suiveurs continuent, sans désemparer, leurs attaques scélérates, et nous éprouvons d’énormes difficultés dans nos actions récursoires.
Mars 2016, c’était dans la revue Ensemble de l’Association culturelle d’éducation populaire, l’apologie des crimes de Gabriel (dit Gaby) Anglade, à l’occasion de ses obsèques. Le président, Fred Artz, écrit : « En mars 1962, il neutralisera six fonctionnaires dont Max Marchand, suppôt notoire du FLN et auxiliaire de l’administration gaulliste, qui, avec quelques autres indicateurs, signalait aux terroristes FLN les victimes européennes qu’il convenait d’éliminer. Gaby sera volontaire pour tenter de libérer Roger Degueldre et aussi pour attenter à la vie du président Charles de Gaulle… »
Décembre 2016, nouvelle charge, contre Jean-François Gavoury, dans Les actualités de l’Algérianiste au sujet de la substitution par Robert Ménard, maire de Béziers, au nom de la rue du 19-Mars-1962, de celui de rue Commandant Denoix de Saint Marc, officier putschiste. Thierry Rolando, président du Cercle algérianiste, fustige les manifestants de la honte à Béziers le 14 mars 2015, c’est-àdire ceux qui, comme Jean-François Gavoury, Jean-Philippe Ould Aoudia, vinrent s’opposer à cette décision. Il déclare « … plusieurs d’entre eux dont l’éternel Jean-François Gavoury qui, condamnant les actions de 1’OAS, se garde bien de condamner les crimes du FLN. Le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le 8 novembre dernier (2016) leurs prétentions. Nous nous en réjouissons. »
Qu’un maire change le nom d’une rue porteur de paix par celui d’un officier aux ordres d’un pouvoir insurrectionnel ne nous réjouit pas. Denoix de Saint Marc se soumit et passa sa première nuit à la prison de la Santé le 26 avril 1961. Un mois plus tard, le 31 mai, Roger Gavoury, commissaire divisionnaire d’Alger, était assassiné par un commando de l’OAS : parmi ses membres, Albert Dovecar et Claude Piegts.
Rappelons que Jean-François Gavoury déposa le 30 décembre 2014 un mémoire introductif d’instance afin que soit annulée la délibération du conseil municipal de la commune de Béziers en date du 11 décembre 2014 portant changement de dénomination de voie.
Juin 2017 – Les actualités de l’Algérianiste incriminent une institution de la République, le Musée national de l’Éducation, où est présentée, depuis le 8 avril 2017 et jusqu’au 2 avril 2018, une importante exposition « L’École en Algérie, l’Algérie à l’École de 1830 à nos jours », à laquelle nous avons participé.
L’Algérianiste titre « une exposition qui interpelle », puis s’interroge « sur le parti pris idéologique de cette exposition » et relève, parmi les collaborateurs, « L’inévitable Benjamin Stora, Georges Morin de 1’association pied-noire pro-FLN Coup de Soleil, Marc Ferro et Pierre Nora, historiens, favorables à l’indépendance de l’Algérie … en quelque sorte, le règne de la pensée unique. »
Pourtant, cette exposition se montre exhaustive. Dans la partie consacrée à des figures d’enseignants, nous trouvons le recteur Laurent Capdecomme, qui défendit courageusement les Centres sociaux éducatifs devant le tribunal d’Alger lors du procès dit des Barricades, où le colonel Gardes les traita de « pourriture » ; Mouloud Feraoun « Où mènent les Chemins qui montent ? » ; Max Marchand « Penser l’Algérie et la France ». Jean-Robert Henry, directeur de recherche honoraire au CNRS, précise dans le livre-catalogue : « Le 15 mars 1962, quatre jours avant le cessez-le-feu, un commando de l’OAS exécutait à Ben Aknoun, au siège des Centres sociaux éducatifs, six de leurs Inspecteurs, dont Mouloud Feraoun et Max Marchand. Dans un contexte de violence aveugle, ces morts prenaient une signification particulière : les criminels visaient clairement leur implication active dans ces structures destinées à promouvoir l’éducation de base d’une jeunesse algérienne non scolarisée. […] En 1962, la politique de la terre brûlée menée par l’OAS touche l’appareil éducatif : l’exemple le plus symbolique est l’incendie de la bibliothèque universitaire d’Alger. »
Est-ce un parti pris idéologique que de relater les forfaits de ceux qui n’ont toujours pas mauvaise conscience ? Et, comme le soulignait Bertrand Delanoë : « Est-ce si dur ? Est-ce si dur d’être humble et courageux vis-à-vis de la vérité ? ».
Bertrand Delanoë eut le courage d’affirmer : « L’OAS, c’est une organisation terroriste, une organisation criminelle, c’est une organisation qui a voulu détruire la République. », ce que ne fit aucun responsable des institutions de l’État. Pourtant, l’OAS n’hésita pas à attenter à la vie du Président de la République, le général de Gaulle. Il fallut attendre trente-sept années pour que le Gouvernement français reconnaisse que les opérations de maintien de l’ordre ou de pacification couvraient, en réalité, une guerre. À la fin de cette guerre franco-algérienne et algéro-algérienne, il y eut une guerre franco-française menée par l’OAS dont la finalité, au nom de l’Algérie française, était d’abattre la République.
Pensons à deux amis qui nous ont récemment quittés :
– le 17 février, un hommage était rendu à Lucien Bitterlin au funérarium des Batignolles. Lucien Bitterlin, responsable du Mouvement pour la Coopération, mit sur pied une police parallèle afin de soutenir le général de Gaulle dans la lutte contre l’OAS. I1 échappa à plusieurs mitraillages et attentats et perdit la majorité de ses hommes. Dans l’établissement du dossier des victimes de 1’OAS, Jean-François Gavoury dresse la liste des contractuels de la lutte anti-OAS, assassinés par l’OAS, d’après les documents de Lucien Bitterlin.
– le 28 août, François Nadiras, de la Ligue des droits de l’Homme à Toulon, fut, comme le déclare Jean-François Gavoury, une « vigilante sentinelle de la République à qui l’ANPROMEVO doit d’être née, d’avoir pu développer son action et d’avoir vu croître son audience. »
Le 6 octobre 2011, Jean-François Gavoury remerciait ainsi Bertrand Delanoë : « Monsieur le Maire de Paris, c’est un vrai moment de lumière que vous nous donnez à connaître en mettant à l’honneur des hommes et des femmes soumis à la barbarie de ce terrorisme dont l’image hideuse doit nous encourager à repousser toute forme de résurgence. »
Afin de repousser toute forme de résurgence, demeurons vigilants au quotidien : notre présence devant cette stèle en ce cimetière du Père Lachaise, haut lieu de tous les combats des hommes libres, l’atteste.
Le 6 octobre doit devenir la Journée officielle de recueillement et du souvenir des victimes de l’OAS.
Avec Jean-François Gavoury et Jean-Philippe Ould Aoudia, retrouvons-nous ici, encore plus nombreux, lundi 19 mars et samedi 6 octobre 2018.
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